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CRÉPUSCULES PSYCHOLOGIQUES


I



Sur le fond rose et vert des couchants Vénus brille.
Au flanc des bois muets éclate un hallali.
Le parfum des rosiers emplit le ciel pâli.
Je songe devant un portrait de jeune fille.
Le soir descend en moi comme un fleuve d’oubli.

Vénus reluit au fond du couchant vert et rose…
Je sentais autrefois se guérir mes douleurs
Devant cette harmonie aux légères pâleurs :
Or j’en souffre aujourd’hui, car je la décompose,
Et mon cerveau n’est plus la dupe des couleurs.

Le cor résonne au fond de la forêt brunie…
Enfant, quand j’écoutais la fanfare des cors,
L’extase traversait d’un frisson tout mon corps :
Désormais je sais trop comment naît l’harmonie,
Et mon cerveau n’est plus la dupe des accords.

L’odeur des blancs rosiers meurt au ciel qu’elle embaume…
Je pressentais jadis dans les parfums rôdeurs
Un Eden idéal aux riches profondeurs :
Depuis lors j’ai trouvé le secret de l’arôme
Et mon cerveau n’est plus la dupe des odeurs.

Je songe devant un portrait de jeune femme…
— Ô printemps disparus où je voyais un chœur
De vierges me sourire en me nommant vainqueur !
Hélas ! des fausses fleurs j’ai découvert la trame,
Et mon cerveau n’est plus la dupe de mon cœur.

J’ai voulu tout sonder d’une main trop hâtive :
Les livres sur lesquels mon front lourd a pâli
Ont dans mon cœur usé pour longtemps aboli
Les bonheurs spontanés et leur fraîcheur native :
Ô soir, descends en moi comme un fleuve d’oubli !


HENRY BÉRENGER.




ANTIGONE


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Ma détresse implorait le céleste message
Le signe dit retour d’Antigone perdue ;
Sans espoir je laissais mes yeux sur l’étendue
Mobile seulement du solennel passage
Des nuages, du vent vespéral et d’un cygne…