Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/144

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prix où était celui de feue madame de Vienne, à qui sa fille ressemblait si parfaitement que ce portrait paraissait être le sien. Elle s’en était détachée avec beaucoup de peine, et avait prié M. de Granson de le garder soigneusement. Comme la conversation était peu animée entre le mari et la femme, et que la présence de M. de Canaple y mettait encore plus de contrainte, madame de Granson, ne sachant que dire, s’avisa de redemander ce portrait à M. de Granson. Il fut si embarrassé de cette demande, et si peu maître de son embarras, que madame de Granson comprit qu’il ne l’avait plus. Elle ne se trouva nullement préparée à soutenir cette espèce de mépris. Quelques larmes coulèrent de ses yeux ; et, pour les cacher, elle sortit de la chambre ; mais ce soin était inutile, elles ne pouvaient échapper à l’attention du comte de Canaple ; et, quoique ce qu’il voyait dût encore fortifier sa jalousie, un attendrissement pour le malheur de ce qu’il aimait, l’indignation qu’il conçut contre M. de Granson, firent taire tout autre sentiment.

Puis-je croire ce que je vois, lui dit-il aussitôt qu’ils furent seuls ? Quoi ! vous êtes sans amour et même sans égard pour votre femme, pour cette femme qui mérite les respects et les adorations de toute la terre ? Elle verse des larmes ; vous la rendez malheureuse ; et où donc avez-vous trouvé des charmes assez puissants pour effacer l’impression que les siens avaient faite sur votre cœur ?

Que voulez-vous, répliqua M. de Granson ? ce n’est pas ma faute. Après tout, où prenez-vous qu’on doive toujours être amoureux de sa femme ? ce sentiment est