Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/155

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Madame de Granson, restée seule, se trouva saisie d’une douleur inquiète et piquante, qu’elle n’avait point encore éprouvée. Les réflexions qu’elle faisait sur ce qui venait de se passer lui donnaient des soupçons, et même des certitudes, dont elle se sentait accablée. Je n’en saurais douter, disait-elle, il est amoureux, il est aimé : l’amour, et l’amour content, peut seul inspirer ce que je viens de voir.

Quoi ! tandis que j’avais besoin de ma vertu pour me souvenir de l’outrage qu’il m’a fait ; tandis que je ne le croyais occupé qu’à le réparer ; tandis que les apparences de son respect faisaient sur mon cœur une impression si honteuse, il aimait ailleurs ! Comment ai-je pu m’y tromper ? comment ai-je pu donner une interprétation si forcée à ses démarches ? comment ai-je pu croire qu’un homme amoureux fût toujours si maître de lui ? Non ! non ! il m’aurait parlé au risque de me déplaire. Elle se rappelait ensuite que, dans cette conversation où le comte de Canaple soutenait le parti de l’amour, il s’était tu dès qu’elle avait paru. Sa délicatesse aurait été blessée, disait-elle, de parler d’amour devant toute autre femme que devant sa maîtresse. Que sais-je s’il ne croyait pas avoir des ménagements à garder à mon égard ? Qui me dit qu’il n’a pas soupçonné ma faiblesse ? Cette pensée arracha des larmes à madame de Granson ; et, comme elle n’apercevait plus rien dans la conduite du comte de Canaple qui pût l’excuser, tout son ressentiment se réveilla. Il aurait eu peine à se conserver, au milieu des louanges qu’on donnait tous les jours à la valeur du comte de Canaple, et dans un temps où sa vie était exposée à