Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/217

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leur. Ce qu’elle venait de voir, ce qu’elle venait d’entendre, l’air satisfait que le comte de Canaple avait affecté, ne lui laissaient aucun doute sur la passion dont elle le croyait occupé.

Que ferai-je, disait-elle ? m’exposerai-je à le voir revenir avec cette joie qui insulte à ma honte ? recevrai-je des soins et des respects qu’il ne me rend que parce qu’il m’a offensée ? Plus il cherche à réparer, plus il croit le devoir ; plus il m’avertit de ce que je dois penser moi-même ! Que sais-je encore, si un sentiment délicat pour ce qu’il aime, si le désir de s’en rendre plus digne, n’est pas le seul motif qui lui fait chercher à être moins coupable avec moi ? Peut-être n’ai-je d’autre part à ses démarches, que d’être le jouet de sa fausse vertu, après l’avoir été de son caprice.

Malgré cette pensée, malgré le ressentiment qu’elle lui causait, elle ne pouvait s’empêcher de compter le temps que le comte de Canaple passait avec mademoiselle de Mailly. Son imagination lui représentait la douceur de leur entretien, et lui en faisait une peinture désespérante. Elle le voyait à ses genoux ; elle la voyait s’applaudir que la ville dût sa conservation au courage de son amant, et à la tendresse qu’il avait pour elle. Qu’elle est heureuse ! disait-elle ; elle peut aimer, elle le doit. Et moi je dois haïr ; et je suis assez lâche et assez malheureuse pour avoir peine à le vouloir ! S’il était tel que lorsque je l’ai connu ! s’il ne m’avait point offensée ! s’il n’aimait rien !… mais il m’a offensée ! mais il aime !

Tandis que madame de Grangon s’affligeait de la joie