Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/237

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si chère, qui soutenait ma vie. Le changement de votre condition a rendu la mienne encore plus misérable. Vous m’avez fui ; vous avez rejeté mes soins avec une nouvelle rigueur ; nulle espérance ne me reste : il faut mettre fin à tant de peines ; il faut cesser de vous être odieux, en cessant de vivre. J’emporterai du moins la consolation de vous avoir donné, jusqu’au dernier moment, des marques du respect extrême qui a toujours accompagné mon amour. C’est sous un nom supposé que je me présente à la mort. Vous seule serez instruite de ma destinée ; vous seule, madame, dans le monde, saurez que je meurs pour vous. »

Quel sentiment, quelle tendresse la lecture de cette lettre ne produisit-elle point ! Cet homme pour lequel madame de Granson avait eu dès le premier moment une inclination si naturelle, dont elle n’avait point cru être aimée, donnait sa vie pour la sauver ; cet homme avait la passion la plus véritable et la plus flatteuse. La joie d’être si parfaitement aimée se faisait sentir dans son cœur à travers la douleur et la pitié. Plus M. de Canaple croyait être haï, plus il lui semblait digne de sa tendresse. Tout lui parut possible, tout lui parut légitime pour l’arracher à la mort.

Allez, je vous prie, allez, dit-elle à celui qui lui avait rendu cette lettre, me chercher un habit d’homme, et préparez-vous à me suivre au camp : le salut de votre maître dépend peut-être de votre diligence. Pendant le peu de temps qui s’écoula jusqu’au retour de cet homme, M. de Canaple expirant sous les coups d’un bourreau se présentait sans cesse aux yeux de ma-