Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/236

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sortit de chez mademoiselle de Mailly pour aller chercher son père, quand elle apprit, par un homme à lui, qu’il était en otage entre les mains de milord Montaigu, et qu’il ne serait libre, que lorsque les citoyens sur lesquels Édouard voulait exercer sa vengeance auraient subi le supplice auquel ils étaient condamnés.

Un écuyer du comte de Canaple lui remit en même temps une lettre dont il était chargé. La consternation où il paraissait la jeta elle-même dans le plus grand trouble. Elle prit et ouvrit cette lettre d’une main tremblante, et lut ce qui suit avec un saisissement qui augmentait à chaque ligne.

« Ce n’est que dans ce moment où je vais à la mort, que j’ose vous dire pour la première fois que je vous aime. Vous ne l’avez pas ignoré, madame ; vos rigueurs me l’ont appris depuis longtemps ; mais avez-vous bien connu quelle est cette passion que vous m’avez inspirée ? avez-vous cru que mon cœur ne demandait, ne voulait que le vôtre ; que vous pouviez d’un mot, d’un regard, faire mon bonheur ? Voilà, madame, cet homme que vous avez accablé de tant de haine. Je ne me suis jamais permis de vous parler ; je me suis imposé des lois aussi sévères que celles que vous m’auriez imposées vous-même ; je me suis rendu aussi malheureux que vous vouliez que je le fusse. J’avais espéré qu’une conduite si soumise vous apprendrait enfin que la fortune seule avait pu me rendre criminel. Je vous l’avouerai encore, madame, je me suis flatté quelquefois que la bienséance et le devoir étaient plus contre moi que vous-même. Vous m’avez enlevé cette illusion qui m’était