Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/258

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

abondance, que ma qualité de fille unique ne me donnait à partager avec personne.

Mon éducation s’en ressentit. À peine avais-je les yeux ouverts, que je savais déjà que j’étais une grande héritière. Non seulement on satisfaisait mes fantaisies ; on les faisait naître. On m’accoutumait à être fière et dédaigneuse. On voulait que je dépensasse, mais on se gardait bien de m’apprendre à donner. Enfin, on n’oubliait rien pour me rendre digne de l’état de grande dame, que je devais avoir un jour.

L’usage est établi de mettre, à un certain âge, les filles dans un couvent, pour leur faire remplir les premiers devoirs de la religion. La vanité décida de celui où je devais être. Une abbaye célèbre fut choisie, parce qu’on y mettait toutes les filles de condition, et qu’il était du bon air d’y être élevée. Le faste me suivit dans le couvent ; on n’eut garde de me laisser à la nourriture ordinaire, dont toutes les pensionnaires, qui valaient mieux que moi, s’accommodaient ; il me fallait des mets particuliers. Ma fille est délicate, disait ma mère (car il est de l’essence d’une riche héritière de l’être) ; elle ne serait pas nourrie. Cette santé, prétendue délicate, était cependant très robuste ; mais, ce qu’elle ne demandait pas, la vanité de mes parents le demandait. Il me fallait, à toute force, des distinctions ; on voulut que j’eusse, par le même principe, outre une femme pour me servir, une gouvernante en titre. Quoique ce ne fût pas l’usage de la maison, les religieuses, éblouies de la grosse pension, consentirent à tout.

Il n’est guère de lieu où les richesses imposent plus