Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/266

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Je passai près d’une année après ma sortie du couvent, sans être admise dans les grandes compagnies : on voulut auparavant me laisser acquérir la bonne grâce du maître à danser, m’instruire de ce qu’on appelle le savoir-vivre, la politesse, et surtout me donner le bon ton.

Si je voulais me laisser aller aux réflexions, cette matière m’en fournirait beaucoup ; mais elles seraient également inutiles à ceux qui sont capables d’en faire, et à ceux qui n’en font jamais.

Je regagnais mon appartement aussitôt qu’on avait dîné ; j’y passais peut-être les plus doux moments que j’ai passés de ma vie. Dès que mes maîtres m’avaient quittée, je lisais des romans que je dévorais. Un fonds de tendresse et de sensibilité que la nature a mis dans mon cœur me donnait alors des plaisirs sans mélange. Je m’intéressais à mes héros ; leur malheur et leur bonheur étaient les miens. Si cette lecture me préparait à aimer, il faut convenir aussi qu’elle me donnait du goût pour la vertu : je lui dois encore de m’avoir éclairée sur mes amants.

Le marquis du Fresnoi, qui s’attacha à moi dès que je parus dans le monde, fut le premier qui donna lieu à mes remarques ; je lui plaisais plus qu’il ne voulait qu’on le crût ; aussi n’avait-il garde d’employer les petits soins et les complaisances ; il cachait au contraire, autant qu’il lui était possible, l’attention qu’il avait à me suivre et à me regarder.

Je crois qu’il eût voulu me le cacher à moi-même ; du moins, s’il eût osé, il m’en eût demandé le secret. Rien n’était plus plaisant que les peines qu’il prenait