Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heur, si vous alliez vous mettre dans la tête un homme que vous ne pouvez épouser ! car je conclus, par ce que vous venez de me dire, que ce Barbasan n’est pas dans le rang où l’on vous cherche un mari : gardez votre cœur pour celui à qui vous devez le donner.

La cloche, qui l’appelait à l’église, ne lui permit pas de poursuivre ; mais elle m’en avait assez dit. Quelle triste lumière elle porta dans mon âme ! Je revins au logis, pensive, rêveuse ; je n’avais pas le courage de m’examiner ; je craignais de me connaître ; je me rassurai pourtant un peu sur ce que Barbasan ne m’avait rien dit qui ressemblât à l’amour. Il ne me paraissait pas possible que je pusse aimer quelqu’un qui ne m’aurait pas aimée.

Nous allâmes à un concert où il y avait toujours beaucoup de monde ; j’y portai les nouvelles pensées dont j’étais occupée, Barbasan se mit vis-à-vis de moi, et s’aperçut que j’étais distraite ; il crut même que j’évitais de le regarder. Inquiet, alarmé de ce changement, il m’en demanda la cause, dès qu’il put me parler. Je n’ai rien, lui dis-je d’un air qui disait que j’avais quelque chose. Je ne suis en droit, répondit-il, ni de vous questionner, ni de me plaindre ; mais, par pitié, parlez-moi.

Ces mots furent accompagnés d’un regard qui me donna l’intelligence de ce qui se passait dans nos cœurs ; nous nous entendîmes dans le moment ; nous gardâmes tous deux le silence ; et, pour la première fois, nous nous trouvâmes embarrassés d’être ensemble. Il fut rêveur le reste de la soirée, et je continuai de l’être.