Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/276

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Je repassai toute la nuit ce qu’Eugénie m’avait dit. Les regards, la rêverie de M. de Barbasan, ne me laissaient plus la liberté de douter de ses sentiments : je l’eusse voulu alors ; ce doute eût été un soulagement pour moi ; je m’en serais autorisée, pour ne pas examiner les miens.

Que faire ? Quel parti prendre ? Pouvais-je interdire à Barbasan la maison de mon père ? je n’en avais pas le droit ? La morale des passions n’est pas austère : je conclus que je ne devais rien changer à ma conduite, et attendre pour m’inquiéter que j’en eusse des raisons plus légitimes. Que savais-je ce qui pourrait arriver, et ce que la fortune me réservait ?

Malgré mes résolutions, mon procédé n’était plus le même pour Barbasan, ni le sien pour moi. Nous avions perdu l’un et l’autre la gaieté qui régnait auparavant entre nous. Nous nous parlions moins : les choses que nous nous disions autrefois n’étaient plus celles que nous eussions voulu nous dire ; Barbasan n’y perdait rien : je l’entendais sans qu’il me parlât.

Je passai quelque temps de cette sorte, dans un état qui n’était tout-à-fait bon, ni tout-à-fait mauvais. Mon père et ma mère eurent souvent alors des conférences, qui ne leur étaient pas ordinaires : il ne m’entra point dans l’esprit que j’y eusse part ; je n’y en avais cependant que trop pour mon malheur.

Je ne l’ignorai pas longtemps. Mon père m’envoya chercher un matin. Je le trouvai seul avec ma mère, qui m’annonça la première que j’allais être mariée avec M. le marquis de N…, fils du duc du même nom. Elle eut tout le temps de me faire un étalage aussi