Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/289

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père : j’avais obtenu de coucher dans un cabinet qui y touchait. Dès qu’il n’y avait auprès de lui que ceux qui devaient y passer la nuit, je me relevais pour obéir à mon inquiétude, et pour lui rendre des soins dont il me semblait que personne ne pouvait s’acquitter comme moi.

Un soir que je lisais auprès de lui, pour tâcher de lui procurer quelque repos, je m’aperçus qu’il souffrait plus qu’à l’ordinaire. Son état, dont les suites me faisaient frissonner, me saisit au point que, quelques efforts que je fisse, mes larmes coulèrent, et que je fus contrainte d’interrompre ma lecture.

Mon père demeura quelque temps dans le silence ; et, me tendant ensuite la main : Ne vous affligez point, mon enfant, me dit-il : il faut se soumettre : ma vie est entre les mains de Dieu ; il m’a fait la grâce de me donner le temps de me reconnaître. La longueur de ma maladie m’a familiarisé avec la mort. Je ne regrette que vous, ma chère Pauline ; je vous laisse dans l’âge où les passions ont le plus d’empire : vous n’avez que vous pour vous conduire ; votre mère est plus capable de vous égarer que de vous guider : que ne pouvez-vous voir les choses de l’œil dont je les vois présentement ! mais les ai-je vues moi-même dans la santé ? il a fallu toucher au moment où tout disparaît, pour en sentir le néant. À quoi m’ont servi ces richesses accumulées avec tant de soin ? L’usage que j’en ai fait a été perdu même pour le plaisir. Une vue confuse de ce que j’étais, de ce qu’on pensait de moi, a répandu sur ma vie une amertume qui m’a tout gâté ; mais ces avertissements secrets avaient moins de