Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/37

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cher le chevalier. On le trouva chez lui ; on lui dit de ma part que je l’attendais dans un endroit qui lui fut indiqué ; il y vint. Je suis persuadé, lui dis-je en l’abordant, que ce qui vient de se passer à la promenade est une plaisanterie ; vous êtes un trop galant homme pour vouloir garder le portrait d’une femme malgré elle. Je ne sais, me répliqua-t-il, quel intérêt vous pouvez y prendre ; mais je sais bien que je ne souffre pas volontiers des conseils. J’espère, lui dis-je, en mettant l’épée à la main, vous obliger de cette façon à recevoir les miens. Le chevalier était brave, nous nous battîmes quelque temps avec assez d’égalité ; mais il n’était pas animé comme moi par le désir de rendre service à ce qu’il aimait. Je m’abandonnai sans ménagement ; il me blessa légèrement en deux endroits ; il eut à son tour deux grandes blessures ; je l’obligeai de demander la vie et de me rendre le portrait. Après l’avoir aidé à se relever, et l’avoir conduit dans une maison qui était à deux pas de là, je me retirai chez moi, où, après m’être fait panser, je me mis à considérer le portrait, à le baiser mille et mille fois. Je savais peindre assez joliment : s’en fallait cependant beaucoup que je fusse habile ; mais de quoi l’amour ne vient-il pas à bout ? J’entrepris de copier ce portrait ; j’y passai toute la nuit, et j’y réussis si bien, que j’avais peine moi-même à distinguer la copie de l’original. Cela me fit naître la pensée de substituer l’un à l’autre ; j’y trouvais l’avantage d’avoir celui qui avait appartenu à Adélaïde, et de l’obliger, sans qu’elle le sût, à me faire la faveur de porter mon ouvrage. Toutes ces choses sont considérables quand on aime, et mon cœur en savait bien le prix.