Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/36

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dont je jouissais, me retenait ; et ce que je craignais encore plus, c’était de déplaire.

Je vivais de cette sorte, quand, nous promenant un soir avec toute la compagnie, Adélaïde laissa tomber en marchant un bracelet où tenait son portrait. Le chevalier de Saint-Odon, qui lui donnait la main, s’empressa de le ramasser, et, après l’avoir regardé assez long-temps, le mit dans sa poche. Elle le lui demanda d’abord avec douceur ; mais, comme il s’obstinait à le garder, elle lui parla avec beaucoup de fierté. C’était un homme d’une jolie figure, que quelque aventure de galanterie où il avait réussi avait gâté. La fierté d’Adélaïde ne le déconcerta point. Pourquoi, lui dit-il, mademoiselle, voulez-vous m’ôter un bien que je ne dois qu’à la fortune ? J’ose espérer, ajouta-t-il, en s’approchant de son oreille, que, quand mes sentiments vous seront connus, vous voudrez bien consentir au présent qu’elle vient de me faire ; et, sans attendre la réponse que cette déclaration lui aurait sans doute attirée, il se retira.

Je n’étais pas alors auprès d’elle ; je m’étais arrêté un peu plus loin avec la marquise de la Valette ; quoique je ne la quittasse que le moins qu’il me fût possible, je ne manquais à aucune des attentions qu’exigeait le respect infini que j’avais pour elle ; mais, comme je l’entendis parler d’un ton plus animé qu’à l’ordinaire, je m’approchai ; elle contait à sa mère, avec beaucoup d’émotion, ce qui venait d’arriver. Madame de Lussan en fut aussi offensée que sa fille. Je ne dis mot ; je continuai même la promenade avec les dames ; et, aussitôt que je les eus remises chez elles, je fis cher-