Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/74

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dit enfin dom Jérôme en m’embrassant. Ah ! m’écriai-je, elle est morte ! Benavidés l’a sacrifiée à sa fureur ! Vous ne me répondez point ? hélas ! je n’ai donc plus d’espérance ? Non, ce n’est point Benavidés, reprenais-je, c’est moi qui lui ai plongé le poignard dans le sein ; sans mon amour elle vivrait encore. Adélaïde est morte ! je ne la verrai plus ; je l’ai perdue pour jamais ! Elle est morte et je vis encore ! Que tardé-je à la suivre, que tardé-je à la venger ! mais non, ce serait me faire grâce que de me donner la mort ; ce serait me séparer de moi-même qui me fais horreur.

L’agitation violente dans laquelle j’étais fit rouvrir ma plaie qui n’était pas encore bien fermée ; je perdis tant de sang, que je tombai en faiblesse ; elle fut si longue, que l’on me crut mort ; je revins enfin après plusieurs heures. Dom Jérôme craignit que je n’entreprisse quelque chose contre ma vie ; il chargea Saint-Laurent de me garder à vue. Mon désespoir prit alors une autre forme. Je restai dans un morne silence. Je ne répandais pas une larme. Ce fut dans ce temps que je fis dessein d’aller dans quelque lieu où je pusse être en proie à toute ma douleur. J’imaginais presque un plaisir à me rendre encore plus misérable que je ne l’étais.

Je souhaitai de voir dom Gabriel, parce que sa vue devait encore augmenter ma peine ; je priai dom Jérôme de l’amener : ils vinrent ensemble dans ma chambre le lendemain. Dom Gabriel s’assit auprès de mon lit : nous restâmes tous deux assez long-temps sans nous parler ; il me regardait avec des yeux pleins de larmes. Je rompis enfin le silence : Vous êtes bien généreux,