Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/75

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monsieur, de voir un misérable pour qui vous devez avoir tant de haine ? Vous êtes trop malheureux, me répondit-il, pour que je puisse vous haïr. Je vous supplie, lui dis-je, de ne me laisser ignorer aucune circonstance de mon malheur ; l’éclaircissement que je vous demande préviendra peut-être des événements que vous avez intérêt d’empêcher. J’augmenterai mes peines et les vôtres, me répondit-il ; n’importe, il faut vous satisfaire ; vous verrez du moins dans le récit que je vais vous faire, que vous n’êtes pas seul à plaindre ; mais je suis obligé, pour vous apprendre tout ce que vous voulez savoir, de vous dire un mot de ce qui me regarde.

Je n’avais jamais vu madame de Benavidés, quand elle devint ma belle-sœur. Mon frère, que des affaires considérables avaient attiré à Bordeaux, en devint amoureux ; et, quoique ses rivaux eussent autant de naissance et de bien, et lui fussent préférables par beaucoup d’autres endroits, je ne sais par quelle raison le choix de madame de Benavidés fut pour lui. Peu de temps après son mariage, il la mena dans ses terres ; c’est là où je la vis pour la première fois. Si sa beauté me donna de l’admiration, je fus encore plus enchanté des grâces de son esprit et de son extrême douceur, que mon frère mettait tous les jours à de nouvelles épreuves. Cependant l’amour que j’avais alors pour une très-aimable personne dont j’étais tendrement aimé, me faisait croire que j’étais à l’abri de tant de charmes ; j’avais même dessein d’engager ma belle-sœur à me servir auprès de son mari, pour le faire consentir à mon mariage. Le père de ma maîtresse, offensé des