Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/77

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mon cœur, sans que je les démêlasse : je n’avais encore osé approfondir ce que je sentais pour ma belle-sœur. Je lui contai mon aventure, je lui montrai la lettre de mademoiselle de N… Que ne m’avez-vous parlé plutôt, me dit-elle ? Peut-être aurais-je obtenu de monsieur votre frère le consentement qu’il vous refusait. Mon Dieu ! que je vous plains, et que je la plains ! elle sera assurément malheureuse. La pitié de madame de Benavidés pour mademoiselle de N… me fit craindre qu’elle ne prît de moi des idées désavantageuses ; et, pour diminuer cette pitié, je me pressai de lui dire que le mari de mademoiselle de N… avait du mérite, de la naissance, qu’il tenait un rang considérable dans le monde, et qu’il y avait apparence que sa fortune deviendrait encore plus considérable. Vous vous trompez, me répondit-elle, si vous croyez que tous ces avantages la rendent heureuse ; rien ne peut remplacer la perte de ce qu’on aime. C’est une cruelle chose, ajouta-t-elle, quand il faut mettre toujours le devoir à la place de l’inclination. Elle soupira plusieurs fois pendant cette conversation : je m’aperçus même qu’elle avait peine à retenir ses larmes.

Après m’avoir dit encore quelques mots, elle me quitta. Je n’eus pas la force de la suivre ; je restai dans un trouble que je ne puis exprimer ; je vis tout d’un coup ce que je n’avais pas voulu voir jusque-là, que j’étais amoureux de ma belle-sœur, et je crus voir qu’elle avait une passion dans le cœur : je me rappelai mille circonstances auxquelles je n’avais pas fait attention, son goût pour la solitude, son éloignement pour tous les amusements, dans un âge comme le sien. Son