Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/93

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La véritable pitié n’est point cruelle ; le père abbé, attendri de ce spectacle, tâcha, par les exhortations les plus tendres et les plus chrétiennes, de me faire abandonner ce corps, que je tenais étroitement embrassé. Il fut enfin obligé d’y employer la force ; on m’entraîna dans une cellule, où le père abbé me suivit ; il passa la nuit avec moi, sans pouvoir rien gagner sur mon esprit. Mon désespoir semblait s’accroître par les consolations qu’on voulait me donner. Rendez-moi, lui disais-je, Adélaïde ; pourquoi m’en avez-vous séparé ? Non, je ne puis plus vivre dans cette maison où je l’ai perdue, où elle a souffert tant de maux ; par pitié, ajoutai-je, en me jetant à ses pieds, permettez-moi d’en sortir ! que feriez-vous d’un misérable dont le désespoir troublerait votre repos ? Souffrez que j’aille dans l’hermitage attendre la mort. Ma chère Adélaïde obtiendra de Dieu que ma pénitence soit salutaire ; et vous, mon père, je vous demande cette dernière grâce, promettez-moi que le même tombeau unira nos cendres : je vous promettrai, à mon tour, de ne rien faire pour hâter ce moment, qui peut seul mettre fin à mes maux. Le père abbé, par compassion et peut-être encore plus pour ôter de la vue de ses religieux un objet de scandale, m’accorda ma demande et consentit à ce que je voulus. Je partis dès l’instant pour ce lieu ; j’y suis depuis plusieurs années, n’ayant d’autre occupation que celle de pleurer ce que j’ai perdu.


FIN DES MÉMOIRES DE COMMINGE.