Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/92

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je tombai malade peu de jours après. Si le compagnon de mes égarements gémit encore sous le poids du péché, qu’il jette les yeux sur moi, qu’il considère ce qu’il a si follement aimé, qu’il pense à ce moment redoutable où je touche, et où il touchera bientôt, à ce jour où Dieu fera taire sa miséricorde pour n’écouter que sa justice ! Mais je sens que le temps de mon dernier sacrifice s’approche ; j’implore le secours des prières de ces saints religieux ; je leur demande pardon du scandale que je leur ai donné ; et je me reconnais indigne de partager leur sépulture.

Le son de voix d’Adélaïde, si présent à mon souvenir, me l’avait fait reconnaître dès le premier mot qu’elle avait prononcé. Quelle expression pourrait représenter ce qui se passait alors dans mon cœur ! Tout ce que l’amour le plus tendre, tout ce que la pitié, tout ce que le désespoir peuvent faire sentir, je l’éprouvai dans ce moment.

J’étais prosterné comme les autres religieux. Tant qu’elle avait parlé, la crainte de perdre une de ses paroles avait retenu mes cris ; mais, quand je compris qu’elle avait expiré, j’en fis de si douloureux, que les religieux vinrent à moi, et me relevèrent. Je me démêlai de leurs bras, je courus me jeter à genoux auprès du corps d’Adélaïde ; je lui prenais les mains, que j’arrosais de mes larmes. Je vous ai donc perdue une seconde fois, ma chère Adélaïde, m’écriai-je, et je vous ai perdue pour toujours ! Quoi ! vous avez été si long-temps auprès de moi, et mon cœur ingrat ne vous a pas reconnue ! Nous ne nous séparerons du moins jamais ; la mort, moins barbare que mon père, ajoutai-je, en la serrant entre mes bras, va nous unir malgré lui.