Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 12.djvu/276

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frayeur en considérant qu’ils étaient au milieu d’un abîme sans fond et sans bornes, toujours prêt à les engloutir : une idée si terrible agit avec tant de force, que, s’étant répandue dans les trois équipages, on ne parla plus que de reprendre aussitôt la route de l’Europe. La cour, disaient les plus modérés, ne pourrait s’offenser qu’après avoir pénétré plus loin qu’on ne l’avait jamais fait avant eux, l’espérance leur eût manqué plutôt que le courage, et qu’ils eussent refusé de servir la folle ambition d’un aventurier qui n’avait rien à perdre ; d’autres s’emportèrent jusqu’à proposer hautement de jeter cet étranger dans les flots, et de dire en Espagne qu’il y était tombé par malheur en observant les astres. L’amiral comprit la grandeur du péril ; mais, loin d’en être abattu, il rappela toute sa grandeur d’âme pour conserver un visage tranquille ; et, feignant de ne rien entendre, il employait tantôt les caresses et les exhortations, tantôt les raisonnemens spécieux et des espérances séduisantes, tantôt la menace et l’autorité du roi dont il était revêtu. Le mardi 25, à la fin du jour, Pinçon s’écria : Terre ! terre ! et fit remarquer en effet, à plus de vingt lieues au sud-est, une épaisseur qui avait l’apparence d’une île. Cet avis, qui n’était qu’une invention concertée avec l’amiral, eut la force de calmer les mutins : leur joie devint si vive, qu’ils rendirent à Dieu des grâces solennelles ; et, pour les soutenir dans cette disposition, Colomb fit gouverner du même côté pendant