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Page:La Nature, 1878, S2.djvu/122

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pourtant la nuance différentielle la plus marquée. Le type actuel, lorsqu’on l’interroge avec soin, laisse voir des diversités analogues, comprises dans les limites d’une espèce unique.

Le laurier-rose dont je veux parler maintenant a suivi une marche à peu près semblable à celle qui caractérise le lierre. Ce type est représenté dans la craie supérieure par une forme qui paraît être la touche de toutes celles qui suivirent et celles-ci n’ont jamais produit que des variations assez peu accentuées. C’est là visiblement un type doué d’une tendance très-faible à la polymorphie, aptitude qui explique à la fois sa remarquable fixité à travers le temps et l’existence actuelle de deux espèces isolées, l’une indienne, l’autre méditerranéenne, assez voisines pour s’hybrider lorsqu’on a cherche à les rapprocher l’une de l’autre.

Le laurier-rose crétacé, Nerium Rohlii Mark, ressemble singulièrement aux plus larges feuilles du N. odoratum, des Indes et de Java, dont les feuilles fossiles ont la forme, les dimensions et la longueur de pétiole ; celles-ci étaient cependant moins linéaires et plutôt lancéolées-allongées ; elles se terminaient aussi plus obtusément dans la direction du pétiole et elles paraissent avoir eu des nervures plus fines et plus nombreuses. Ce sont là au total de faibles divergences, et si les autres parties de l’ancienne plante n’en présentaient pas de plus marquées, ce que nous ignorons, il est vrai, on peut dire que le N. Rohlii ne différait pas plus du Nerium odoratum que celui-ci ne diffère du N. oleander des bords de la Méditerranée.

Le laurier-rose n’a pas été encore observé dans le paléocène ; en revanche, nous connaissons deux Nerium éocènes très-nettement caractérisés : ce sont les Nerium parisiense, du calcaire grossier parisien, et sarthacense Sap., des grès de la Sarthe (fig. 5). Tous deux peuvent passer pour être dérivés du précédent, et pourtant ils diffèrent très-notablement l’un de l’autre. Le Nerium parisiense, remarquable par ses dimensions exiguës, dénote une race qui aurait subi l’influence ordinaire du climat de la période éocène ; en outre, il habitait une station en contact avec les plages de la mer parisienne, probablement les rives d’un cours d’eau vers son embouchure ; par conséquent il était indigène d’une région basse, plus chaude que l’intérieur du pays. Le Nerium sarthacense, au contraire, habitait probablement une région boisée et montagneuse du continent éocène ; il représentait évidemment une race plus vigoureuse et ses feuilles atteignaient à à une largeur triple de celle des empreintes du dépôt parisien.

Le Nerium parisiense, malgré sa petite taille à laquelle ses fleurs, dont les corolles nous sont connues, répondaient par leurs proportions modestes, se rattache certainement au type du N. odoratum, et, par conséquent, à celui du N. Rohlii, dont il s’écarte surtout par la terminaison plus ou moins obtuse du sommet des feuilles. Le Nerium sarthacense, dont une petite feuille a déjà été figurée sur la planche xvii de mon Mémoire sur les végétaux fossiles de Meximieux, paraît être effectivement le prototype direct du Nerium oleander, auquel il est conforme par le contour elliptique du limbe, sa terminaison supérieure et les déformations accidentelles auxquelles il était sujet, mais dont il s’écarte par l’étendue proportionnelle du pétiole. En outre, dans l’espèce de la Sarthe, la plus grande largeur du limbe se trouve reportée vers le tiers inférieur de l’organe, au lieu d’exister plus haut, ainsi que cela se voit dans la majorité des feuilles de notre laurier-rose méditerranéen. Il semblerait donc que l’on touchât ici à l’époque actuelle et pourtant on n’y arrive enfin qu’au moyen de plusieurs termes successifs intercalés. Le Nerium repertum Sap., des gypses d’Aix, est imparfaitement connu ; on voit pourtant que ses feuilles sont plus petites que la moyenne de celles des grès de la Sarthe dont elles offrent l’apparence extérieure, sauf le pétiole qui tend à se raccourcir. Ce raccourcissement du pétiole restera désormais le caractère commun de tous les lauriers-roses d’Europe et l’on peut rapporter à ce moment l’époque à laquelle dut s’opérer la séparation définitive des deux espèces, l’indienne et l’européenne, qui s’étend aussi dans l’occident de l’Asie. Le Nerium Gaudryanum Brngt., du miocène inférieur d’Oropo, en Attique, se rapproche un peu plus du N. oleander que les précédents par son pétiole très-court et le contour lancéolé du limbe ; mais les dimensions restent encore plus petites et la forme du contour général est plus étroite que dans la majorité des feuilles du N. oleander. Presque à la même époque, le Nerium bilinicum Ett., des couches de Kutschlin, en Bohême, manifeste la même liaison avec un agrandissement marqué des dimensions du limbe et peut-être aussi une nuance d’affinité plus marquée vis-à-vis du N. odoratum. M. d’Ettingshausen mentionne de plus un Nerium styriacum, de Leoben, espèce inédite qui aurait des feuilles plus larges et des nervures secondaires moins raides. Cette forme semblerait indiquer un degré d’acheminement vers le laurier-rose actuel. Le laurier-rose de Meximieux, Nerium oleander pliocenicum, ne saurait être légitimement séparé de celui de nos jours : dimension et forme du pétiole, contour et dimension du limbe foliaire, tout est pareil des deux parts.

Il ne tiendrait qu’à nous, si la nécessité de ne pas élargir outre mesure le cadre de cette étude n’y faisait obstacle, d’interroger plusieurs autres types, pour analyser leur marche et définir la signification des éléments morphologiques que chacun d’eux a successivement compris ; mais un livre entier suffirait à peine à effleurer une matière aussi riche, et d’ailleurs, en multipliant les détails, en prodiguant les preuves, nous ne ferions que confirmer ce qui ressort déjà de l’ensemble de nos considérations, l’unité de l’ancienne végétation, la solidarité intime de toutes les parties dont elle se