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Page:La Nature, revue des sciences, année 18, 1890.djvu/725

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l’émotion que j’ai ressentie à la descente quand, sur la crête des immenses toits de glace qui entourent le sommet du Mont-Blanc, j’ai vu glisser, retenu par douze guides, le petit traineau de M. Janssen. Le vent menaçait de tout emporter dans les précipices. Les hommes enfonçaient leurs piolets dans la glace pour s’y retenir, se sentant à chaque instant enlevés par le poids du traineau. Au devant du véhicule étaient attachés trois guides dont les jambes faisaient office de frein. Grâce à cette précaution, M. Janssen a pu descendre sans encombre au chalet Vallot et le soir même aux Grands-Mulets. Le lendemain il arrivait à Chamonix. Vingt et une salves de canon annoncèrent son retour. La population du village, les guides, les étrangers se rendirent au-devant de lui, acclamant tous, savants et ignorants, l’homme qui venait de témoigner un si noble dévouement à la science.

Louis Olivier,
Docteur ds sciences.


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LE FUNICULAIRE DE BELLEVILLE

à paris


Le tramway funiculaire de Belleville, dont La Nature a déjà annoncé en son temps l’installation[1], va être incessamment livré au public. La pose de la voie, celle des machines motrices et du tendeur sont complètement achevées. Les élégantes voitures qui rouleront de la place de la République à l’église de Belleville, sont déjà à leur place sous le hangar qui leur sert de dépôt. Nous représentons l’une d’elles avec ses voyageurs (fig. 1). Le câble seul est encore en route ; on n’attend plus que lui et il ne sera ni long ni difficile à enrouler sur les poulies qui dirigeront sa course à travers les courbes plus ou moins accentuées de la nouvelle ligne. Encore un mois, et Paris sera doté du premier de ses funiculaires. C’est un peu tard, à la vérité. Voici de longues années que nos voisins d’outre-Atlantique usent, et très largement, de lignes à traction par câble. Melbourne, Saint-Louis, New-York possèdent chacune une quarantaine de kilomètres de chemins semblables. Philadelphie en possède 25, Chicago 18. San-Francisco a inauguré récemment un funiculaire qui n’a pas moins de 32 kilomètres de parcours !

Le nouveau tramway de Belleville est donc loin d’arriver bon premier. Il offre toutefois une originalité qui nous semble nouvelle, ou tout ou moins peu usitée jusqu’à ce jour : la voie qui monte de la place de la République à l’église est unique, tandis que les tramways américains que nous venons de citer ont tous une double voie, une pour la montée, l’autre pour la descente des trains. Comme il est facile de le vérifier sur place, le funiculaire que nous allons voir en service un de ces jours prochains ne possède deux voies qu’aux garages, au nombre de cinq : deux dans le faubourg du Temple, au canal et à l’angle de la rue Saint-Maur ; et trois sur le parcours de la rue de Belleville, aux angles du boulevard de Belleville et des rues Julien-Lacroix et Bolivar.

Des trois organes dont la réunion forme l’ensemble du funiculaire de Belleville, — la voie, les machines et les voitures, — le premier, la voie, est celui qui attire tout d’abord l’attention. Elle est, bien entendu, tout entière souterraine, puisqu’elle doit renfermer le système des poulies à gorge sur lesquelles roule le câble conducteur des véhicules. Mieux que toutes les descriptions, l’examen de notre figure 2 nous en fera facilement saisir la disposition. Les rails, noyés dans le pavé qui recouvre la chaussée, reposent très visiblement sur un système métallique spécial, en forme de V évasé, qui a reçu le nom de joug. Ces « jougs », distancés de mètre en mètre sur toute la longueur de la voie, forment comme l’ossature d’un petit tunnel souterrain qui renferme le câble mobile.

Le système des deux rails, écartés de 1 mètre l’un de l’autre, ne compose point toute l’installation de la voie du funiculaire. Entre eux court, en effet, un autre rail à rainure centrale qui servira de guide au grip. Le « grip », que nous retrouverons tout à l’heure dans la description du véhicule, n’est autre que la pièce métallique, la mâchoire, si l’on veut, qui étreint, qui « agrippe » le câble, auquel il lie la voiture pendant toute la durée de son parcours. Notre figure 2 reproduit très clairement ce système. Les jougs, en forme de V, les rails extérieurs qu’ils supportent, le rail central à rainure, supporté également par le jour, le grip mordant le câble, et les poulies mobiles sur lesquelles s’appuie et se guide ce dernier, sont distinctement représentés, et nous nous rendons certainement déjà un compte exact du fonctionnement de l’élégante et utile voie ferrée bellevilloise. Nous aurons suffisamment complété notre description en indiquant le poids des rails, en acier, qui est de 45 kilogrammes par mètre courant pour les rails de roulement, et de 29 kilogrammes pour le rail central de rainure.

Maintenant que nous connaissons, au moins d’une manière succincte, le système adopté pour le transport par câble du véhicule, montons le faubourg du Temple et la rue de Belleville. Au no 101, à peu de distance de la place de l’Église, qui est le point terminus de la ligne, nous trouvons le bâtiment spécialement affecté à l’administration du tramway, aux machines motrices du câble et au remisage des voitures.

Deux machines motrices et un appareil dit « tendeur », que l’on retrouve dans tous les funiculaires, composent l’agencement mécanique de l’installation générale. Chacune des deux machines Corliss, dont le mouvement actionne la poulie porteuse du câble, est d’une force de 50 chevaux. La poulie motrice elle-même mesure 2m, 50 de diamètre. Après avoir tourné autour de cette poulie, le câble repasse, en avant sur une autre de même diamètre, mais dont l’axe est incliné de telle façon que le câble, dévié de

  1. Voy. no 830, du 27 avril 1889, p. 343.