Page:La Pentecôte du Malheur.djvu/28

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Belgique que nous avons secourue et aidée ; elle s’est portée, par un mouvement semblable à un flot irrésistible, vers les blessés et les affligés de Pologne, de Serbie, de France et d’Angleterre. La publication incessante de livres, d’articles de journaux et de revues, respirant l’amour de la justice et la colère contre l’attaque préméditée et injustifiée de la Prusse, doit prouver à l’Europe que des centaines de milliers d’Américains sont de cœur et d’esprit avec elle. L’attitude du New York Sun, du New York Times, de l’Outlook et du Philadelphia Public Ledger, pour n’en pas citer davantage, suffirait seule à nous laver, en tant que particuliers, du reproche d’être restés neutres moralement.

Et cependant, aux yeux de l’Europe, nous paraissons ne pas faire ce que l’on attendait de nous. Les Alliés reconnaissent notre générosité matérielle, mais estiment que, moralement, notre effort est insuffisant. Le Punch de Londres, à la suite du torpillage du Lusitania, a publié un dessin représentant l’Angleterre, émue, indignée, debout derrière l’Amérique, courbée par la douleur, qu’elle apostrophe ainsi :

Silencieuse, tu as vu porter des coups déloyaux,
Dévaster des terres et massacrer des innocents ;
Au nom du Ciel, dont tu tiens ta grandeur,
Sœur, ne parleras-tu pas ?

Ce n’est pas aux Américains individuellement, c’est à la nation que cet appel s’adresse, et le seul interprète de la nation, c’est notre gouvernement. « Sœur, ne parleras-tu pas ? » Eh bien ! nous avons parlé ; mais au bout de neuf mois de silence. Ce silence, dans l’opinion des envoyés belges et français qui m’ont parlé avec une franchise courtoise, est la preuve de notre faiblesse morale.

Ils m’ont dit ceci : « Quand cette guerre a commencé, nos regards se sont portés de votre côté. Vous étiez pour nous la grande démocratie ; vous n’étiez pas engagés dans la querelle ; vous pouviez prononcer la parole approbatrice que nous attendions. Nous savions que, politiquement, vous deviez rester en-dehors : c’était votre vrai rôle ; c’était votre grande force. Sur ce point nous partagions entièrement l’opinion de votre président. Mais pourquoi vos Universités sont-elles restées muettes ? L’Université de Chicago a fermé la bouche à un professeur belge qui allait défendre publiquement la cause de la Belgique. Votre presse était divisée. Le mot que l’on attendait de vous, vous ne l’avez pas prononcé. Vous nous avez fait la charité ; mais ce que nous désirions, c’était qu’on nous rendît justice, qu’on épousât notre cause.»

Voici ce que j’ai répondu :

« En premier lieu, nos Universités n’occupent pas et ne peuvent occuper, comme les vôtres, une situation dominante et diriger l’opinion. Plût au Ciel qu’il en fût ainsi ; en second lieu, nous ne sommes pas encore fondus en une nation homogène ; nous sommes un mélange de races et de langues ; néanmoins, jamais je n’ai vu, de ma vie, la presse et l’opinion américaines aussi unanimes sur aucune question ; en troisième lieu, notre charité est un moyen — le seul moyen dont nous disposions — de vous dire que nous sommes avec vous. Je suis heureux que vous reconnaissiez la nécessité de notre