Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/297

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tiers que ce pessimisme découragé, ce dégoût de l’action qui fut jusqu’à ces dernières années la maladie de la jeunesse pensante, est imputable en une certaine mesure à l’écœurement causé par ce réveil en pleine civilisation des pires férocités de la sauvagerie primitive.

Dans les rangs de la masse ouvrière, tout autre fut nécessairement l’effet produit ! Après une torpeur éphémère, il y eut propagation rapide d’un socialisme nouveau adapté aux besoins du moment, d’un socialisme inspiré de Marx, plus scientifique et plus précis, en même temps que plus sec et plus tranchant, raillant les appels à la fraternité, comptant avant tout sur la force, posant en principe la lutte des classes, hostile au sentiment comme à l’idée du droit, si bien que, lors de l’amnistie, les revenants de la Commune, nourris dans le socialisme français, furent plus d’une fois désorientés devant la façon différente dont ils retrouvaient posée la question sociale.

Il semble bien aussi que la défaite d’une insurrection si formidablement outillée ait fait comprendre à beaucoup de révolutionnaires, même des plus ardents, l’inefficacité d’un coup de main pour la transformation profonde d’une société, le peu d’utilité d’une révolution partielle et locale, la nécessité de s’unir et de s’organiser, de ne pas séparer la province et Paris, les ouvriers des villes et les travailleurs des campagnes (ceux qu’on appelait en 1871 les ruraux), l’urgence enfin d’avoir un programme net et pratique.

À l’étranger, le souvenir de la Commune fut, comme, en France, un objet d’effroi pour tous les privilégiés et un moyen de gouvernement dont usèrent abondamment les conservateurs. Mais les publications des exilés, la vie digne de la plupart d’entre eux, les dépositions des témoins oculaires qui racontèrent dans les journaux l’atrocité de la répression, ne permirent pas à l’histoire faussée, qui seule avait droit de circuler sur territoire français, de s’accréditer et de s’enraciner au dehors. Les prolétaires de tout pays ne se trompèrent pas sur le sens et la valeur du mouvement. Cette insurrection, qui leur apparaissait de loin dans un flamboiement grandiose et fantastique, éveilla leur sympathie et eut à leurs yeux l’éclat d’une aurore tragique annonçant le jour prochain où s’accomplirait une étape décisive sur le chemin de la justice sociale et de l’émancipation humaine.

Il se pourrait que ce jugement instinctif fût voisin de la vérité. À vingt-six ans de distance, le recul est encore insuffisant pour saisir dans leur ensemble toutes les conséquences que contenaient en puissance les événements d’alors. Mais l’insurrection de 1871 paraît bien n’être qu’un épisode de la grande lutte engagée de nos jours entre le peuple et la bourgeoisie. Elle a élargi et rendu sensible aux plus aveugles le fossé profond qui sépare deux classes, représentant deux régimes inconciliables ; et la conséquence la plus grave de la Commune, c’est peut-être ce fait, de plus en plus visible que partout les groupes intermédiaires s’effacent pour laisser aux prises deux