Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/457

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

militaire. Comment, après avoir reçu la prime de son engagement, il ne partit pas au service de don Carlos et prit, au contraire, le train pour Paris : c’est explicable par ceci que, une fois sa faim apaisée, la conscience lui revint des laideurs de la guerre en un retour de la foi révolutionnaire, souvenirs de la Commune, lui évoquant la capitale française que, pour une fois et pour quelques jours, libéré des soucis de bourse, — l’or sonne dans ses poches, il est ivre ! — il veut voir, affronter.


Retour de Paris, on le revoit, fin de cette année 1875, à Charleville. Il y passera l’hiver, en lutte contre sa mère qui ne veut plus rien entendre, on le conçoit.

Parmi de nouvelles études, il entreprend celle de la Musique, ardemment ; ainsi, du reste, qu’il fit toujours et pour tout. Un piano a été apporté dans l’appartement, sans le consentement préalable de madame Rimbaud dont la fierté et l’autoritarisme sont surpris, puis malicieusement retournés, par le hasard, contre un voisinage protestataire ; Arthur, de ses vastes poings, en tire des orages de notes qui mettent aussitôt tout i’alentour en affreux émoi, font craindre au propriétaire l’écroulement de la maison. Un dessin de Verlaine, le montre ainsi opérant des tonnerres[1]. Il s’était, peu auparavant, fait raser les cheveux : la forme du crâne est remarquable.

En 1876, deuxième tentative vers l’Orient.

Avant réussi de nouveau à gagner la bourse maternelle à la cause d’un départ, sous prétexte d’aller approfondir l’allemand à Vienne, aux fins d’une collaboration industrielle en Russie, il part pour, en effet, l’Autriche[2] ; mais avec l’intention de gagner Varna, sur la mer Noire, où il s’embarquerait pour l’Asie.

Le guignon, hélas, le poursuit. Pas plutôt à Vienne, il est délesté de tout ce qui lui reste de sous par des individus avec lesquels sa générosité imprudente l’a fait boire. Et le voici forcé, pour manger, de se livrer, dans la ville autrichienne, à des besognes de forçat, à des mendicités. Un jour, pour de nobles raisons humaines, il a une rixe avec la police. Il est arrêté. On l’expulse.


Conduit à la frontière de l’Allemagne et livré à la police de cet empire, qui l’expulse à son tour, on le mène à la frontière française, d’où, à pied, par Strasbourg et Montmédy, il regagne Charleville.

« Il était alors, dit Ernest Delahaye, très robuste ; allure souple, forte, d’un marcheur résolu et patient, qui va toujours. Les grandes jambes faisaient, avec calme, des enjambées formidables, les longs bras ballants rythmaient les mouvements très réguliers, le buste était droit, la tête droite, les yeux regardaient dans le vague, toute la figure avait une expression de défi résigné, un air de s’attendre

  1. Voir à la page précédente ce dessin de Verlaine.
  2. Voir à la page suivante le deuxième dessin de Verlaine.