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Scène IV

CHAMBOLIN puis REQUIN
CHAMBOLIN

Procurons-nous donc ce précieux ruban rouge, objet de tant de convoitises. (Il frappe à l’auvent.) Monsieur Requin ! Monsieur Requin !

UNE VOIX

Qu’y a-t-il ?

CHAMBOLIN

Est-ce à son Excellence Eugène Requin que j’ai l’honneur de parler ?

REQUIN

Que me voulez-vous ?

CHAMBOLIN

Monsieur Requin, j’aurais un instant d’audience à vous demander.

REQUIN

Une audience ?

CHAMBOLIN

Monsieur, mes titres ne vous sont pas connus : permettez que je les rappelle. Né dans la médiocrité, j’y fus élevé, et n’en sortis point. Depuis mon enfance, j’ai rendu de sérieux services à mes contemporains, car je ne leur ai jamais donné l’exemple pernicieux d’une action d’éclat. Par là, je leur ai évité toute exaltation dangereuse. J’ai vu des personnes se noyer dans la mer, et je me suis borné à crier au secours, et à applaudir le courageux sauveteur. Je n’ai jamais fondé d’hospice, jamais je n’ai présidé une société de tir. Je n’ai jamais exposé des produits industriels dans aucune exposition. Je viens donc solliciter de vous, Monsieur Requin, la faveur de porter illégalement et illégitimement le ruban de la légion d’honneur.

REQUIN

Quand vous aurez fini, vous parlerez sérieusement et vous me direz ce qu’il y a pour votre service.

CHAMBOLIN

Monsieur Requin, si vous me connaissiez mieux, vous sauriez que je suis toujours sérieux. Si j’ai l’air de plaisanter sur les choses, ce n’est pas ma faute à moi, c’est les choses qui ont commencé et n’apportent pas autant que moi de gravité dans leur manière d’être. Il me faudrait un peu de ruban rouge pour orner ma boutonnière. Si vous n’avez pas ça tout fait sur un de vos vieux habits, vous trouverez bien quelques centimètres de ruban dans un coin. Je n’hésiterai pas à vous verser vingt centimes pour les droits de chancellerie.