Page:La Revue blanche, t4, 1893.djvu/381

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Le suprême altruisme impose donc l’inaction, le suicide par la faim, c’est-à-dire la plus grande faute contre cet altruisme lui-même puisque l’évolution, l’amélioration des états humains dépend de la vie la plus multipliée, seule source de pensée, d’invention, de science, d’allégement.

Il manque aux anarchistes de relire l’Origine des Espèces et les autres livres de Darwin. Le principe de sélection, par suite d’action et fatalement nocive, demeure inhérent à la vie. L’exemple de la sardine, si paradoxal, semble-t-il, est une exagération expérimentale du fait qui deviendrait constant. La plus vertueuse action contrarierait toujours quelqu’homme porté à la juger mal. Les conflits se produiraient pour des cas moraux, au lieu de se produire, comme aujourd’hui pour des questions d’intérêt. La combattivité serait déplacée simplement ; mais elle ne tarderait peut-être pas à reprendre les allures barbares de la bataille, ainsi qu’au temps des guerres religieuses ; et la bataille entraînerait la conquête avec tous les corollaires de ce phénomène social.

L’anarchie ne se peut soutenir intégralement. Elle donne, au plus, une gracieuse et touchante idée esthétique.

Ni le socialisme ni l’anarchie ne parviendront à soulager notre douleur parce que ces deux opinions dérivent immédiatement de la politique régnante. L’oligarchie républicaine centralisatrice mène à la tyrannie de l’état. Le sentiment de cette finale logique rejette le penseur vers l’individualisme, autre extrême, et point de départ de toute l’évolution historique. IL serait donc dangereux, pour les jeunes hommes d’intelligence voués à la politique d’adopter fermement l’une ou l’autre de ces conceptions ingénieuses mais trop liées à la nature même de la puissance gouvernementale qui nous choque.

Le mieux serait d’attendre et d’étudier afin de conquérir une nouvelle idée d’aisance sociale tout à fait affranchie des principes de l’organisation bourgeoise.