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pensée. Des hommes illustres à juste titre dans la science critique ont depuis longtemps accompli cette tâche difficile.

Il s’agirait en effet de deviner, pour ainsi dire, dans le trésor des fragments précieux échappés à l’oubli, la richesse et l’éclat des œuvres demeurées inconnues. Si nous osons prononcer ici un nom douloureux et célèbre, c’est que, ce nous semble, la réaction littéraire fondamentale que déjà nous avons essayé de faire entrevoir à la même époque en Allemagne et en Angleterre, s’y rattache puissamment en France. Notre seule ambition serait donc de déterminer cette influence par l’aperçu rapide de la poésie prise d’abord dans sa plus large et sa plus primitive acception, puis enfin de la poésie lyrique, à la fin du XVIIIe siècle.

La poésie, inspiration créatrice et spontanée, sentiment inné du grand et du vrai, n’existait plus alors, nous le croyons. — Elle était morte dans les dernières années du xviie siècle. À l’énergie avait succédé l’inerte timidité académique, à la spontanéité du génie la lente réflexion, à Corneille Racine ! — Car la poésie, telle que nous la concevons, telle que nous l’avons apprise de voix géantes et, harmonieuses, la poésie ne saurait être ce qu’ont écrit Malherbe ou Boileau. Comme poètes, avons-nous jamais compris ces hommes ? — Nous les avons oubliés. — L’intelligence primitive qui enfanta le Cid et Polyeucte n’eut pas de successeur. Lui était-il possible d’en avoir ? — Connaît-on un autre Shakespeare ? — Phèdre et Athalie elles-mêmes, ces deux magnifiques expressions antiques, ne révèlent qu’une prodigieuse puissance de forme, rien de plus : Athalie fut écrite en douze ans. Cette conviction dit assez combien nous sommes loin de nous concentrer dans cette même forme, quoiqu’elle rende notre tâche aussi délicate qu’audacieuse ; — mais notre foi profonde fait notre sauvegarde. — Non, la poésie n’existait plus alors : Corneille emporta son secret sublime avec lui, et tout un siècle de silence pesa sur la poésie spontanée. Qu’on ne s’y méprenne pas, nous savons qu’un esprit