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ardent et facile a rempli ce long siècle de ses œuvres innombrables et surtout de son nom ; mais pour ceux qui conservaient religieusement les saintes traditions de la véritable poésie, il a passé inaperçu ou justement méprisé. Le XVIIIe siècle a donné naissance à des faits qui resteront immortels sans doute, mais comme une torche immense et cachée, il n’a jeté deux puissants et magiques éclats qu’à son agonie : la réaction politique et la réaction littéraire. La première semble avoir fécondé la seconde tout en fermant pour jamais les lèvres harmonieuses qui réveillaient la poésie de sa longue léthargie. Nous le croyons donc, Corneille et André Chénier se touchent comme intelligences primitives, spontanées, originales. Pour la poésie lyrique, nous la voyons naître délicate, naïve, mélodieuse, brillante avec Ronsard, le seul poète du xvie siècle, que le Tasse proclamait son maître et qui a conquis la gloire de n’avoir pas été compris de Boileau ; — puis, cette inspiration, jeune et féconde agonise jusqu’à J.-B. Rousseau qui l’abandonne pâle, mutilée et n’étant plus elle-même. Elle s’éteint alors. De longues, de stériles années s’écoulent, et l’enfant du ciel grec, le pur, l’harmonieux, le splendide Chénier la réveille pleine de sève et de feu, mille fois plus fraîche et plus vibrante qu’elle ne l’avait jamais été ! Car, en vérité, ce doux nom nous semble, vers les derniers moments du XVIIIe siècle, l’immortel déshérité de tant de richesses rejetées par lui-même, l’admirable écho de chants merveilleux et séculaires, le phare sauveur qui rappelle à son jeu poétique les étincelantes visions du passé et les intelligences de l’avenir. Et pourtant, André Chénier, ce conservateur de la poésie, ce messie littéraire, André Chénier n’a pas accompli son œuvre tout entière, s’il nous est permis d’en juger par le peu qui nous reste de lui.

Nous ne lui connaissons, il est vrai, qu’un petit nombre d’ébauches et de fragments ; le précieux ensemble de ses œuvres est perdu pour toujours sans doute ; mais en admirant quelques morceaux plus ou moins complétés, il est facile de dé-