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droite, d’abord dans la longue allée du jardin des Tuileries, puis dans la place de la Concorde dont l’obélisque de Luxor occupe le centre ; après cela, dans toute la perspective des Champs-Élysées, et enfin il se fixe sur le colossal Arc-de-triomphe de l’Étoile, dont la courbe immense termine à l’horizon ce magnifique point de vue. — Maintenant, suppose tout cet espace de plus d’une demi-lieue illuminé des deux côtés, chaque arbre uni à son voisin par une guirlande de feu, et puis, dans le lointain, l’arche géante illuminée aussi dans toute sa hauteur et faisant à l’œil enchanté l’effet de quelque palais fantastique éclos subitement sous la baguette d’une fée, et tu n’auras pas encore la moindre idée du merveilleux spectacle qui vint réjouir mes regards,

Tous ces prestiges de bruit et de lumière m’avaient d’abord séduit, Ki-Aou ; mais, lorsque, de retour à mon hôtel, l’éblouissement eut fait place à la réflexion, la seule impression qui me resta fut une profonde tristesse. Je me sentis pour la première fois totalement étranger au milieu de ce peuple parfois silencieux et froid, tantôt bruyant et enthousiaste ; dédaigneux de l’amour et du respect qu’il doit à son souverain, heureux des réjouissances extérieures et de l’éclat superficiel et momentané d’une fête royale. Il y avait quelque chose de profondément pénible pour le cœur dans la pensée que cette multitude si curieuse et si insouciante des besoins de la vie allait se réveiller le lendemain avec le sentiment de sa détresse, rendu plus vif encore par le souvenir des futiles prodigalités de la veille. — Croirais-tu, après cela, mon ami, que les Français se regardent comme plus policés que tous les autres peuples du monde, sans en excepter les Chinois ? — Pauvre civilisation, n’est-ce pas, que celle qui nourrit de tels germes de défiance et peut-être de haine entre les sujets et les souverains !