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tent ; elles rachètent ces cruels abandons ; et c’est en contemplant la mère de toute douleur que nous comprenons la sublimité des larmes.

— J’apprécie, Ninetta, l’étendue du sacrifice qu’il faudra vous imposer ; car, croyez-vous que je sois insensible ? Malheureusement je n’ai pas encore étouffé ces attachements terrestres qui s’éloignent de Dieu, et sa sainte volonté me punit en me privant de Giovanni. Il m’était bien facile de céder à des tentations qui semblaient émanées du Seigneur : Giovanni élevé à l’ombre des autels et des solitudes religieuses, était préparé d’avance à la vie monacale ; lui-même m’a dit souvent : « Frère Ambroise, je vivrai avec vous, je ne vous quitterai jamais. » En l’entendant ainsi je partageais ses idées ; égaré par mon cœur, je croyais qu’il parlait au nom du ciel… Hélas ! vous versez des larmes, Ninetta, mes yeux ne peuvent plus en répandre, et cependant, lorsque je fus assuré que Giovanni n’était point réservé au cloître, lorsque mes illusions furent dissipées, et que je compris l’étendue de ma peine, je pleurais, je dérobais au Seigneur les parfums de la tristesse, pour les répandre sur ma douleur. Le moine était ému, et les deux époux, en l’écoutant, sentirent augmenter leur chagrin. Ludovic prit la parole :

— Le jour des afflictions est venu, Ninetta ; soyons assez courageux pour les supporter. Mon frère, nous allons tout préparer pour le départ de Giovanni.

Le tailleur achevait à peine ces paroles, que Cécilia et Giovanni entrèrent ; leur présence soudaine vint encore augmenter le trouble du religieux et des époux,

— Nous voici de retour, bon Ludovic, dit la jeune fille. Le duc et la duchesse vous remercient de leur avoir confié Giovanni. Nous avous essayé de lui procurer tout le plaisir possible.