Page:La Variété, revue littéraire, 1840-1841.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 16 —


      Qu’on a vu des grands noms l’adroit charlatanisme
Frapper les jeunes chants d’un cruel ostracisme
Et vous faire petits de toute leur grandeur ;
Qu’on a vu le néant des amours de la terre ;
Qu’on n’a plus d’autre ami que la muette pierre
Qui couvre votre mère et votre jeune sœur ?

      Faut-il aux nuits du cloître abandonnant sa vie,
Aller maudire haut ce que bas on envie,
Sans croyance et sans foi simuler la ferveur ?
Faut-il, trouvant trop lourd son fardeau de misère,
Le jeter là ; puis, seul, à son heure dernière,
Chercher dans le suicide un rêve de bonheur ?

      Que faire ?… Il est encore une œuvre sainte et grande,
Mon fils, celle d’aimer sans qu’aucun vous le rende ;
De secourir partout, sans un cupide espoir,
De donner au vieillard, à l’enfant, à la veuve,
Sans espérer rien d’eux, sans tenter une épreuve,
Sans regarder surtout si quelqu’un va vous voir.

Vous avez bien souffert au matin de la vie ;
Aux ronces du chemin votre chair s’est meurtrie.
Espérez mon enfant en des jours immortels ;
Et quoique tout froissé par un contact immonde,
Comme Jésus mourant qui bénissait le monde,
De vos saignantes mains bénissez les mortels.

Marie.