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Je sortis, mais prévoyant que si j’attendais, je serais victime de la colère des religieux, je fus reprendre mes anciens habits, et avec hardiesse je me présentai au portier : Ouvrez-moi, frère Anselme. Il crut que c’était le diable car il s’enfuit, et profitant de sa peur, je m’élançai libre encore une fois. Mon aventure fit grand bruit ; Florence s’en entretint longuement, chacun voulait savoir le pourquoi. Je n’aurais pu moi-même en principe l’expliquer : mon cœur seul avait le secret. Rendu à mes anciennes habitudes, je redevins poète. Ayant publié un volume, j’eus quelque succès. Ce petit triomphe me fit faire des avances au monde et moi qui l’avait maudit, je devins son apologiste. Ses plaisirs, ses fêtes m’entraînèrent et des connaissances nombreuses me firent connaître ses honteuses faiblesses. Vous vous étonnez, signor, de ces changements subits. Je m’étonnai moi-même, et malgré cela je continuai à essayer la vie ; c’était la seule excuse que je donnasse à l’étrangeté de ma conduite. Au milieu de tous ses désordres, mon amour pour la poésie restait toujours pur et sacré. Je me blasais sur tout ; je commençais à porter le fardeau de mes fautes ; la mauvaise honte qui m’avait retenu au cloître m’arrêtait dans les bras de l’orgie. Je ne voyais pas encore le terme entre les austérités hypocrites et spéculatives des moines et les excès fangeux du vice. Une de mes parentes qui s’effrayait de ma conduite voulut m’engager à quitter mes habitudes.

— Viens avec moi à la campagne, me dit-elle ; tu prétends que l’ennui te gagne. Je consentis : c’était à quelques lieues de Florence, sur les rives de l’Arno. Je me réjouissais d’être seul. Le soir même il y eut réunion ; j’y parus de fort mauvaise grâce, mais la surprise la plus étrange m’attendait : parmi les amies de ma parente se trouvait la délicieuse créature qui m’avait chassé de l’autel.

De là, dit Juliano en ralentissant sa parole, de là date ma