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vie, de là date l’instant suprême où je compris qu’aimer est le bien qui nous réunit à Dieu… Ma vie passée s’effaça devant moi. Je rapportais tout au présent.

Julia, ainsi s’appelait celle qui me fit comprendre Béatrice et Laure ; Julia n’avait jamais vu l’ombre d’une mauvaise pensée troubler ses jours : elle vivait heureuse comme l’oiseau joyeux qui s’endort sous les premières feuilles du printemps ; heureuse comme la fraîche aubépine, quand elle embaume les matinées de mai. Vous avez peut-être vu, Signor, ces madones calmes et pures, ces fronts divins faits pour l’auréole qui les entoure. Julia me rappelait ces trésors de beauté que l’art des maîtres fixe sur les toiles. La blanche fée, quand elle vient la nuit surprendre les sylphes endormis dans les corolles des fleurs et déposer un baisser humide sur les lèvres de ces légers esprits ; la blanche fée est moins svelte que n’était ma Julia, quand parée d’une couronne de roses elle effleurait les soyeux tapis de la nature, et que la prenant pour leur indolente amie, les gais papillons se posaient sur ses cheveux.

Ce que j’éprouvais, Signor, ce n’était point l’amour ; ce n’était point l’attachement profond qui naît d’une réciproque estime. En approchant Julia, les fortes secousses, les volcaniques désirs s’éteignaient ; ses regards me plongeaient dans une exstase infinie : une attraction céleste m’attirait vers elle. Je la suivais sans m’en apercevoir, j’étais sur son passage sans m’en douter, nous ignorions tous deux le charme invincible qui nous unissait. Jamais ma bouche ne proféra le mot je t’aime. Je vous l’ai dit, Signor, ce n’était point l’amour ; c’était une adoration continuelle, des vœux toujours incessants, un rêve qui s’effaça, une apparition qui s’évanouit,

Quelques mois après cette rencontre inespérée, de hautes herbes recouvraient la tombe de Julia !… Je ne sais pourquoi j’eus le courage de vivre… Maître de ma fortune, je rentrai dans le sein de l’étude, je devins alors véritablement sérieux.