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Plein de honte pour ce que j’avais été, je pensais à mes frères, je songeais que chacun doit et peut mettre la main à la grande œuvre sociale. C’était une dernière illusion qui me fut brutalement ôtée. Quelques paroles en faveur du pauvre, un appel à la charité de tous pour ceux qui n’ont rien, trop d’indignation pour l’excès des grands me firent incriminer.

J’avais éveillé les scrupules de l’Inquisition ; ses portes se refermèrent sur moi. Je dis adieu à tout espoir ; je le fis avec calme et sans crainte. Un dévouement inespéré, un miracle me sauva, et l’être qui l’accomplit c’est cette femme, celle que vous avez ramenée à la vie. Léonora, fille d’un garde de la Sainte-Inquisition, avait entendu son père louer ma patience : jamais aucun reproche, pour les tourments que j’éprouvais, disait-il à sa famille ; c’est un ange de bonté. Il est vrai que ma raison, l’esprit avec lequel je considérais mon mal m’éloignait de toute pensée haineuse. Léonora, italienne passionnée, résolut de me sauver, et une nuit, que j’étais dans un demi-sommeil, un être fait tomber mes chaînes et m’ordonne de le suivre avec mystère. Je vais comme marche un somnambule. Mon guide me fait traverser des détours infinis. Je sentis la fraîcheur de la brise, et l’on me dit : Vous êtes libre, signor.

Comment vous exprimer ma surprise ? Je reconnus une femme.

— Vous êtes un ange, sans doute, et permettez que je tombe à vos pieds.

— Fuyez plutôt ; venez avec moi.

Et, sans m’en dire davantage, ma conductrice m’entraîna hors de Florence. Le jour parut, nous étions sur la route de Naples.

Léonora prit enfin la parole :

— Signor, vous êtes surpris de ma démarche ; elle n’a rien que de naturel, vous allez en juger vous-même.

— Mon père, garde de la Sainte-Inquisition, revint du pa-