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Eh ! je l’ai senti mourir, ô ma mère ! Cette idée de mort, vague, effrayante, je la repoussai bien des fois, quand toi-même, hélas, versant tes douces larmes sur ma blonde chevelure, et pressant ton fils dans tes bras, tu t’écriais en regardant le ciel : Seigneur, comment fera-t-il pour vivre ici-bas sans moi ! Tu ne le savais pas, toi ; comment l’aurais-je su, moi qui n’avais pas sept ans ?

Eh pourtant quand je t’appelai, et que ta douce voix ne me répondit plus ; quand je sentis ta main demeurer dans la mienne, froide et glacée ; qu’essayant un sourire, ton œil d’ange s’arrêta sur le mien, fixe et immobile à jamais ; alors je sentis mon cœur s’anéantir et mourir avec toi : puis je pleurai, je priai pour toi et pour moi ce Dieu des petits et des faibles qu’une mère m’avait fait connaître.

Oh ! je me rappellerai toujours cet instant lugubre où l’on rendit à ma mère les derniers devoirs. Je vois encore cette pâle et froide soirée d’automne ; j’entends la petite cloche aux plaintifs accents et le vent qui bruit dans les vieux pins du cimetière. Je suis l’humble convoi le long du tortueux sentier jonché de feuilles jaunies ; j’écoute la voix du prêtre emportée par le vent d’automne ; je pleure encore, je pleure seul agenouillé devant cette fosse qui attend le corps de ma mère ; je jette, pauvre enfant, quelques roses effeuillées sur cette terre qui va tout dévorer, et je prie anéanti quand le cercueil descend dans la fosse, et qu’un bruit sombre roule et gémit avec lui dans les profondeurs du tombeau.

Sept ans, et plus de mère ! Triste début dans la vie ! affreux avant-coureur des amertumes du siècle ! Et pourtant quand la pensée est si simple et si naïve, le cœur si neuf encore, comment ne pas croire au bonheur ? L’enfant pourrait-il en douter, lui qui sait le trouver dans le gazouillement sauvage de la fauvette, dans la simple fleur des champs,