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l’eût-il cueillie sur un tombeau ! Laissez donc l’enfant vivre de sa vie comme je vivais alors ; laissez-le fixer l’azur des cieux, semé de radieuses étoiles ; qu’il s’arrête à contempler dans son naïf effroi les formes capricieuses et gigantesques de ces beaux nuages de pourpre et d’or, aux molles et sinueuses ondulations. Amant de son rêve, qu’il se plaise à voyager comme la lumière dans les mondes aériens, à suivre sa trace brillante à travers ces massifs d’ombre, à reposer sa pensée sur les gouffres embrasés, océans de lumière où se jouent et se rient toutes les séduisantes couleurs du prisme, Ne craignez point : ses ennemis ne sont pas là ; la pensée de l’enfant sortira pure et sans tache de sa délicieuse contemplation ; il saluera la lumière comme il salue l’herbe des champs ; et quand son œil enfin, descendu du ciel sur la terre, viendra se reposer sur un tombeau, il s’agenouillera, pauvre et petit, au pied de la croix d’une mère ; ignorant de ce monde il saura prier.

Il saura prier ; mais le monde est là qui veille et attend, le monde qui ne prie pas. Pauvre enfant, dites-vous, garde toujours ta céleste candeur, et ce beau idéal, et cette philosophie du cœur que tu compris un jour sur le sein de ta mère ! Pauvre enfant ! sois toujours un ange. Et moi, d’une voix qui s’éteint, je m’écrie encore : Par pitié, laissez prier l’enfant ; ne troublez point, de grâce, sa céleste oraison, vous qui avez troublé la mienne ; car, il faut le dire, je fus votre victime aussi, moi…

Ici je m’arrête, ô mon ami ! Tu sais le reste, car j’ai touché la corde fatale. Je t’ai dit à toi, dans nos intimes expansions, tous les troubles de mon âme. Je t’ai dit comme le siècle avait insulté à mes naïves croyances, comme il m’avait ravi l’amour ; je t’ai dit cette lutte de cœur contre l’esprit de l’homme, contre Dieu. Je t’ai tout dit, car tu as su tout