Page:La Vie littéraire, I.djvu/327

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public n’a pas la moindre idée des soins que prend un éditeur soucieux de ses devoirs, un Paul Mesnard, par exemple, un Marty-Laveaux, ou un Maurice Tourneux. On ne peut établir exactement une tragédie de Racine ou seulement une fable de La Fontaine sans beaucoup d’application et un certain tour d’esprit qui ne s’acquiert point. Pourtant les Fables ont été imprimées du vivant de La Fontaine, et Racine a revu lui-même l’édition complète de son Théâtre, en 1697. Les difficultés grandissent quand il s’agit des Essais, dont Montaigne a laissé en mourant un exemplaire corrigé qu’on ne saurait ni tout à fait écarter, ni suivre tout à fait. La sagacité de l’éditeur est mise à une épreuve plus redoutable encore en face des pensées de Pascal et des poésies d’André Chénier. Ce sont là, on le sait, des fragments épars et des ruines d’une nature particulière sur lesquelles le chaos règne avec tous ses droits, les ruines d’un édifice qui n’a jamais été construit. Ce que M. Ernest Havet a déployé de zèle pour ordonner les pensées de Pascal, je n’ai pas à le dire ici. Quant à Chénier, il trouva en M. Becq de Fouquières le plus amoureux et le plus fidèle des éditeurs. C’est sa vie tout entière que M. Becq de Fouquières consacra à la gloire d’André.

Pour se préparer à sa tâche d’éditeur, non seulement il étudia, fragment par fragment, vers par vers, mot par mot, les œuvres inachevées de son auteur, mais encore il le suivit pas à pas dans son existence terrestre et il revécut la vie que le poète avait vécue,