Page:La Vie littéraire, II.djvu/48

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qu’ils se trompaient tous deux ; mais il ne faut pas être médiocre pour se tromper ainsi.

Vous ne verrez jamais les imbéciles tomber dans de telles illusions. Flaubert me parut regretter sincèrement de n’avoir pas vécu au temps d’Agamemnon et de la guerre de Troie. Après avoir dit un grand bien de cet âge héroïque, ainsi que généralement de toutes les époques barbares, il se répandit en invectives contre le temps présent. Il le trouvait banal. C’est là que sa philosophie me sembla en défaut. Car enfin toute époque est banale pour ceux qui y vivent ; en quelque temps qu’on naisse, on ne peut échapper à l’impression de vulgarité qui se dégage des choses au milieu desquelles on s’attarde. Le train de la vie a toujours été fort monotone, et les hommes se sont de tout temps ennuyés les uns des autres. Les barbares, dont l’existence était plus simple que la nôtre, s’ennuyaient encore plus que nous. Ils tuaient et pillaient pour se distraire. Nous avons présentement des cercles, des dîners, des livres, des journaux et des théâtres qui nous amusent un peu. Nos passe-temps sont plus variés que les leurs. Flaubert semblait croire que les personnages antiques jouissaient eux-mêmes de l’impression d’étrangeté qu’ils nous donnent. C’est là une illusion un peu naïve, mais bien naturelle. Au fond, je crois que Flaubert n’était pas aussi malheureux qu’il en avait l’air. Du moins était-ce un pessimiste d’une espèce particulière ; c’était un pessimiste plein d’enthousiasme pour une partie des choses humaines et naturelles. Shakespeare et l’Orient le jetaient dans