Page:La Vie littéraire, II.djvu/47

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bancs. Il se nommait Laute, je crois, était pacifique et demandait justement la paix promise sur la terre aux hommes de bonne volonté. Mais notre bon Flaubert ne l’entendait pas ainsi. Il exigeait que le bonhomme Laute fournît une nouvelle et royale carrière.

— Il est immense, s’écriait-il ! C’est un chef barbare, un dynaste d’Argos, il est archaïque, préhistorique, légendaire, homérique, rapsodique, épique ! Il a l’immobilité sacrée ! Il ne bouge pas… C’est grand ! c’est divin ! Il est fait comme une statue de Dédale, habillée par des vierges. Avez-vous vu au Louvre un petit bas-relief de vieux style grec, tout asiatique, qui a été trouvé dans l’île de Samothrace et qui représente Agamemnon, Tathybios et Epeus avec leurs noms écrits à côté d’eux ! Agamemnon s’y voit assis sur un trône en X, à pieds de chèvre. Il a la barbe pointue et les cheveux bouclés à la mode assyrienne. Tathybios aussi. Ce sont d’affreux bonshommes ; ils ont l’air de poissons et semblent très anciens. On dirait que Laute est sorti de cette pierre-là. Il est superbe, nom de Dieu !

Ainsi Flaubert exhalait son ardeur. Toute la poésie d’Homère et d’Eschyle, il la voyait incarnée dans le bonhomme Laute, tout comme l’ingénieux hidalgo reconnaissait dans la personne d’un simple mouton le toujours intrépide Brandabarbaran de Boliche, seigneur des trois Arabies, ayant pour cuirasse une peau de serpent et pour écu une porte qu’on dit être celle qu’emporta Samson hors de la ville de Gaza. Je con-