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de moyens d’influence sur une population aussi naturellement docile et religieuse que la nôtre, que Sa Grandeur jugea qu’au bout de trois ou quatre ans elle saurait bien donner un autre cours à l’opinion.


VI.


En 1867 c’est-à-dire cinq ans après la signification faite aux citoyens réunis que Sa Grandeur entendait agir en tout et partout comme bon lui semblait, Elle crut qu’il s’était écoulé assez de temps pour que le mécontentement des citoyens se fut apaisé et Elle émana une lettre pastorale, toute chargée d’expressions affectueuses, informant ses ouailles que l’on allait reprendre le projet de reconstruire la cathédrale. L’ensemble du plan fut élaboré avec tout le soin que la prudence humaine put y mettre, et l’on commença à solliciter des contributions. Mais on ne dit pas alors d’une manière explicite où serait placée cette cathédrale. Au contraire on imagina l’adroite tactique de se mettre à l’enchère, en quelque sorte, en regard des différents quartiers de la ville. Sa Grandeur jugea cette tactique un moyen infaillible de doubler la souscription ; et les intimes allèrent glisser à toutes les oreilles riches que le quartier qui montrerait le plus de zèle aurait naturellement la préférence. Ce qui le prouve, c’est que quelques citoyens riches de la partie Est souscrivirent de fortes sommes, mais avec la réserve que la cathédrale se construirait dans cette partie. On savait parfaitement que si on eût dit de suite que la cathédrale se bâtirait dans l’Ouest, nombre de citoyens de la partie Est ne donneraient rien ; et l’on calculait qu’une fois les souscriptions signées on trouverait toujours moyen, par les mille influences dont on dispose, de faire verser les fonds.

Mais ce grand coup de diplomatie vint échouer contre le bon sens public qui vit plus de ruse que de véritable prudence humaine dans les moyens employés ; et la souscription ne produisit pas le vingtième des sommes nécessaires à la construction de la cathédrale.

C’était une leçon et l’on aurait peut-être pu en profiter ; mais il est des hommes dont le caractère distinctif est de s’obstiner contre l’évidence ; et au lieu d’abandonner un projet auquel la grande majorité se déclarait si clairement hostile, on ne fit que l’ajourner encore, comptant toujours que l’on viendrait à bout de cette résistance dans un temps donné. Mais la lettre pastorale de 1857 n’en démontre pas moins que s’il y a eu dix-huit années d’attente, il n’y a certainement pas eu, comme Sa Grandeur semble l’intimer, dix-huit années de silence.


VII.


Mais, dans l’importante question qui nous occupe, Sa Grandeur se trouve être le meilleur témoin contre elle-même. Car enfin, Elle avait, deux ans seulement avant l’incendie, décidé de reconstruire l’Évêché sur le vieux terrain ; et, en y érigeant le beau palais que nous avons vu, Elle signifiait bien par là aux fidèles de la partie Est qu’Elle entendait se fixer permanemment là où l’Évêque doit être, c’est-à-dire au milieu de la population qui fait ici sa force morale et sociale.

Pourquoi donc ce changement deux ans plus tard ? Quelles nouvelles raisons étaient survenues ? La catastrophe n’en créait certainement aucune. Elle aurait dû au contraire attacher plus que jamais le pasteur au troupeau, et l’Évêque lui-même avait formellement exprimé cette idée dans sa première allocution à la Providence. Il n’était pas de très bon exemple, quoiqu’on puisse dire, d’abandonner celui-ci précisément à la suite d’un si terrible malheur. L’Évêque ne faisait tout simplement en s’en allant, qu’augmenter la diminution de valeur que cette partie de la ville avait déjà subie par l’incendie. C’était ajouter un mal à un mal déjà bien assez grand. C’était en un mot dire à ses ouailles : « Un terrible malheur vous a frappés, eh bien, arrangez-vous le mieux que vous pourrez. Quant à moi je m’en vais porter à l’élément anglais l’importance sectionnelle que je retranche de l’élément canadien. »

Quelle nouvelle lumière avait donc lui dans l’esprit de Sa Grandeur pour lui