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sant un homme à pied, qui a pour mission de lui présenter l’avoine ; mais le difficile pour ce nouveau personnage est de rester à la tête du cheval, toujours en mouvement, et qui tend sans cesse à tourner sur lui-même. Dans ses évolutions, la bête de carton cherche surtout à donner les coups de croupe à l’homme qui veut à toute force lui faire manger l’avoine. Aussi ce dernier déploie-t-il toute son agilité et toute son adresse à esquiver les ruades et à se tenir au devant de l’animal capricieux.

L’origine qui on a donnée jusqu’à nos jours à cette danse est les plus piquantes et se rattache à un épisode célèbre de l’histoire du Languedoc on 1207. Le roi d’Aragon, Pierre II, seigneur de Montpellier, vivait en mauvaise intelligence avec la reine Marie, sa femme, dernier rejeton légitime de la véritable branche des Guillems, seigneurs de la ville. L’histoire dit que cette princesse n’était ni belle ni jolie, le roi Pierre II est présenté, de son côté, comme un prince brave et chevaleresque[1], mais très-volage et amoureux des aventures. Ce qui est certain, c’est qu’il n’avait épousé la princesse Marie que pour joindre la suzeraineté de Montpellier à la couronne d’Aragon, et une fois son ambition satisfaite, il se montrait aussi peu empressé envers ses nouveaux vassaux qu’envers la reine. Les bourgeois de Montpellier, jaloux et fiers de leurs franchises municipales, avaient mieux espéré de ce mariage. L’alliance du roi d’Aragon était pleine d’avantages pour le temps, au point de vue politique. Ils l’avaient fort recherchée. Dans leur déception, ils en vinrent à craindre un jour que la princesse Marie ne mourut sans enfants ; ce qui, pour interpréter à la moderne des idées du xiiie siècle, faisait perdre à leur Commune toute prépondérance dans les Conseils du gouvernement. Le seul remède était de rapprocher la reine et le roi. C’est ce qu’ils firent à l’aide d’un stratagème que je me permettrai de comparer à l’un de ces vertueux et ingénieux proverbes d’Octave Feuillet, dans lesquels la morale, après tout, finit toujours par trouver son compte. Qu’on en juge : — je laisse la parole à un grave et savant historien, M. Germain[2] :

« Parmi les dames d’honneur de la reine, disent les chroniqueurs (Ramon Muntaner, d’Aigrefeuille), une jeune veuve avait tout particulièrement les préférences du roi Pierre : il ressentait pour elle un violent amour et recherchait ses faveurs avec une assiduité unique.

  1. Il fut tué en combattant pour les Albigeois, à la bataille de Muret, le 12 septembre 1213.
  2. Histoire de la Commune de Montpellier, tome I, page 246.