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fin de roman

que Rosabelle avait apporté quelques œillets, elle aperçut un pot en grossière poterie avec une ornementation de couleurs barbares qui remplaçait le petit vase de porcelaine.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? fit Rosabelle désignant, de sa main qui tenait les fleurs, l’affreuse potiche.

— C’est Valentine qui me l’a apportée. Elle est venue il y a une dizaine de jours avec son petit Étienne, un fatigant, un énervant, un touche-à-tout, qui tourne tout le temps dans la pièce comme un ours en cage. Tu m’avais apporté des narcisses. Il a voulu les voir de près, les respirer : il a pris le vase et l’a échappé. Naturellement, il s’est brisé. Alors, Valentine a dit : Je vais recoller les morceaux et il n’y paraîtra pas. Cela m’a tellement fâchée que j’aurais pu la battre. Je lui ai dit : Ramasse les morceaux et jette-les dans la poubelle.

Elle a répété : Vous allez voir, je vais les recoller et il sera comme neuf. De nouveau, j’ai ordonné : Va jeter ces débris dans la poubelle. Elle a paru surprise, froissée. C’est un accident, a-t-elle déclaré en ramassant les éclats de porcelaine. Et j’ai dit : Si Étienne pouvait seulement rester tranquille pendant cinq minutes, ce serait reposant. Alors, le petit est venu s’asseoir sur le pied de mon lit et il s’est mis à s’agiter, à se brasser, tellement qu’on aurait dit que la couchette était secouée par un tremblement de terre. Je t’assure que j’étais contente lorsqu’ils sont partis. Puis, le lendemain, elle est arrivée avec cette affreuse potiche. Toi, tu connais les belles choses ; elle, elle n’y comprend rien. Pour elle un vase raccommodé est aussi beau qu’un autre qui n’a pas la moindre fêlure.

Sans être strictement dans la gêne, Valentine et son mari n’en menaient pas large avec le salaire qu’il recevait de la compagnie d’assurances qui l’employait. Une famille