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fin de roman

de sept personnes, cela coûte de l’argent pour vivre. Bien que Valentine fût économe, l’on ne parvenait à mettre aucun argent de côté et cela causait quelque inquiétude aux deux époux. Parfois, le soir, la femme et le mari songeaient à l’héritage qu’ils recevraient certainement un jour. Ce sont là des pensées qui arrivent naturellement à tous ceux-là qui ont des parents possédant quelque bien. Sûrement qu’ils ne souhaitent pas la mort de ceux-ci, mais ils se disent que lorsqu’ils disparaîtront, leur sort s’améliorera. Cela ne fait de tort à personne, ne nuit à personne et c’est une consolation d’une heure dans la dure lutte pour la vie.

On se réfugie pour un moment dans des projets, qui ne se réaliseront probablement jamais, mais qui adoucissent la minute présente. Ainsi, Valentine et son mari se disaient qu’avec $20,000, la moitié de la fortune de la mère, ils pourraient s’acheter une maison, faire faire des études aux deux garçons et peut-être se payer une automobile pas chère. Ce sont là des rêves légitimes et qui n’abrègent pas la vie des parents.

Valentine arriva un jour chez sa mère au milieu de l’après-midi. Celle-ci était malade et elle n’avait ni déjeuné, ni dîné, ayant été incapable de se préparer ses repas. Sa fille s’attacha alors un tablier et se mit en train de cuisiner une collation. Elle cherchait dans la glacière.

— Mais vous n’avez pas de beurre, maman, remarqua-t-elle.

— Vas-tu me dire ce que je dois avoir et ce que je ne dois pas avoir ? fit la mère furieuse. D’ailleurs, je ne t’ai pas demandé de me faire à dîner.

Surprise et peinée, Valentine comprit alors combien gravement le cerveau de sa mère était atteint. La situation était difficile, très difficile.