Page:Labiche - Théâtre complet, Calman-Lévy, 1898, volume 04.djvu/289

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l’air d’en vendre… de la flanelle ! je lui dis : "Monsieur !…" - et on me répond : "Le magasin est au premier." Une fois là… c’est horrible !… je me trouve seul, sans armes, en face d’une affreuse jeune fille de dix-huit ans !… une peau éblouissante ! des yeux noirs et des sourcils à vous manger l’âme !… Je ne sais ce qui se passe en moi… le vertige… les truffes… le vin de Guénuchot… je me sens un frisson… je veux me reculer… horreur ! Je venais de perpétrer un baiser sur le front d’albâtre de Malvina… de cette Pompadour en flanelle !… De fil en aiguille, je l’invite à dîner chez Véry !… cabinet numéro 6… Les bougies s’allument, le champagne ruisselle, ma tête s’égare, et alors… (Au public.) Dame !… mettez-vous à ma place !… À minuit le garçon m’apporte la carte. Cette liquidation me rappelle à tous mes devoirs… je me lève… ! je paye !… et je me sauve… en oubliant ma tabatière décorée de la Charte et du portrait du général Foy… un honnête homme… qui n’a pas trahi ses serments, lui !… J’ai dit à ma femme que je l’avais oubliée chez un ami… une craque !… le crime vous fait marcher de craque en craque !… Hélas ! depuis ce dîner funèbre, je traîne une conscience chargée de remords, je ne mange plus, je ne bois plus, je ne respire plus… la nuit, je me réveille en sursaut… et qu’est-ce que je vois ?… accroupi sur mon chevet, le garçon de chez Véry, qui me présente un buisson d’écrevisses, en me criant : "Baoun ! baoun !…" Ah ! maudit soit le jour où j’ai eu besoin d’un gilet de flanelle !