Page:Labiche - Théâtre complet, Calman-Lévy, 1898, volume 04.djvu/420

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faire ma caisse, opération solennelle qui me présenta tout d’abord un passif de neuf mille huit cent trente-deux francs soixante-quinze centimes… Quant à l’actif, je le néglige… Deux pipes de terre, un cahier de papier à cigarettes… et pas de tabac ! J’allais me recoucher… on frappe trois petits coup à la porte… Entrez !… C’était la veuve Arthur, limonadière, très mûre, que je payais depuis six trimestres en œillades électriques… dont elle me rendait la monnaie… Fichue monnaie ! "Monsieur Trébuchard, me dit-elle, avec une palpitation que j’attribuai d’abord à mes cent quinze marches, monsieur Trébuchard, je viens d’acheter toutes vos créances. — Ah bah ! c’est une excellente opération ! — Depuis longtemps, vous avez porté le trouble dans mon cœur… et je viens vous offrir ma main… (Faisant la grimace.) - Cristi !… Certainement, mère Arthur, ce serait avec plaisir… mais je ne me marie pas… je suis chevalier de Malte ! — Alors, je me vois dans la nécessité de vous mettre à Clichy ! — Comment ?

Air : Nous nous marierons dimanche

Ma main ou Clichy ! vite entre les deux
Choisissez, car je l’exige !
Hésiteriez-vous ? - Pas du tout, grands dieux !
Partons pour Clichy, lui dis-je !
Quoi ! prendre une résolution pareille ?
Eh ! mais, parbleu, pourquoi crier merveille ?
Tiens, j’aimais bien mieux, sans comparaison,
Aller en prison…
Qu’en vieille.

Me voilà donc à Clichy avec mes deux pipes de terre, mon papier à cigarettes, et toujours pas de tabac !… Le premier mois se passa assez bien… J’apprivoisais des araignées et je composais des quatrains féroces contre la veuve Arthur… Le second mois, l’absence prolongée de toute espèce de tabac me fit faire des réflexions. "Après tout, me disais-je, cette femme-là n’est pas si mal… Elle est grande,