Page:Labiche - Théâtre complet, Calman-Lévy, 1898, volume 04.djvu/421

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

elle est brune, elle est sèche… En lui défendant de se décolleter…" Alors, je pris la plume et je lui écrivis ce billet fade : "Mon ange ! je ne peux pas vivre plus longtemps… sans tabac… mon amour est à son comble !… Dépêchez-vous ! " Huit jours après, nous étions mariés, et le soir de mes noces… j’intriguai près de mon sergent-major pour obtenir un billet de garde ! (D’une voix émue.) Deux ans après, ma femme remonta vers les cieux… du moins je me plais à le croire. Je respirais fortement… j’étais libre !… Ah bien, oui ! ma défunte m’avait légué une grande diablesse de fille d’un premier lit… qui a dix-neuf ans de plus que moi… qui m’appelle papa… devant les dames !… et qui grogne du matin au soir pour que je la promène… Me voyez-vous sur le boulevard avec cette machine-là à mon bras ?… Impossible de m’en dépêtrer ! c’est un boulet… un boulet de quarante-huit ! elle a quarante-huit ans, juste !… J’ai voulu la marier à un de mes amis… il m’a flanqué un coup d’épée… Il était dans son droit… je l’avais insulté !… Encore si sa maturité ne nuisait qu’à son établissement !… mais elle m’a déjà fait craquer sept mariages !… Dès qu’on me voit, il n’y a qu’un cri : "Ah ! il est très bien, ce jeune homme !… de belles dents, de l’esprit et des cheveux ! " Je présente ma fille et patatras !… l’exhibition de ce produit de 1804 fait tout manquer ! Aussi, cette fois, j’ai agi avec une duplicité infernale… J’ai manigancé un petit mariage, loin d’ici, à Reims… je n’ai pas soufflé mot de mon infirmité… On me croit veuf, mais sans enfants… et, samedi prochain, j’épouse sournoisement mademoiselle Claire Prudenval, une jeune personne charmante, dont je raffole… Dix-huit ans… de l’innocence… et pas de premier lit !… La noce doit se faire à Reims. Le père, une agréable brute… voulait consommer la chose à Paris, mais je m’y suis véhémentement opposé ! Ma satanée moutarde serait encore venue se mettre en travers !… Tandis qu’une fois marié, je lui envoie une lettre de faire-part, et je la prie de me laisser tranquille… Elle a la fortune