Aller au contenu

Page:Laboulaye - Études sur la propriété littéraire en France et en Angleterre.djvu/58

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais la redevance payée à l’héritier entre dans le prix du livre et doit l’élever. Cela est moins vrai qu’on ne suppose. D’une part, cette redevance est si faible, qu’elle est insignifiante pour l’acheteur. Qu’est-ce que 10, 20 ou 30 centimes sur le prix d’un volume de 1 franc, de 3 ou de 5 francs ? D’un autre côté, il faut considérer qu’un libraire qui n’a point de concurrence à redouter peut imprimer à un beaucoup plus grand nombre d’exemplaires, et c’est le chiffre du tirage qui fait le prix des livres. Si je suis le seul éditeur de Mme de Sévigné, je puis donner à 3 ou 4 francs un beau volume, qu’autrement il me faut vendre 5 ou 6 francs ; je payerai 40 ou 50 centimes de droit d’auteur, et je vendrai 2 francs moins cher ; où sera la perte pour le public ?

On se plaint souvent que la librairie fabrique aujourd’hui des livres incorrects, imprimés en caractères illisibles, sur de mauvais papier : la faute en est surtout à la concurrence illimitée, à l’absence d’une propriété littéraire. L’éditeur n’a qu’un moyen d’être maitre du marché pendant quelque temps, c’est d’y jeter une marchandise de rebut, qui ne laisse aucune marge à la contrefaçon. Comment voulez-vous que j’édite un beau Corneille, sur papier solide, avec un texte soigneusement revu sur les textes primitifs, et un choix de variantes, quand demain on s’emparera de mon travail, et qu’on vous offrira le même ouvrage au quart du prix ? Ce n’est pas seulement le droit des héritiers, c’est encore l’intérêt littéraire qu’on sacrifie à ce qu’on nomme l’intérêt public.

Jusqu’à présent, en défendant le droit de propriété, je n’ai parlé que des héritiers ; la question change-t-elle, quand il s’agit des éditeurs ?

On l’a pensé quelquefois, et, pour parler avec M. Villemain, on a vu dans la perpétuité de la propriété : « un droit