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onéreux pour le public, illusoire pour la famille de l’auteur, et qui ne servirait, à la longue, qu’au monopole des spéculations privées[1]. »

Le défaut que je trouve à cette objection, c’est qu’on peut la faire à toute espèce de propriété. Quand des héritiers ont vendu le champ que leur auteur a défriché, il est bien certain que ce champ devient la propriété exclusive de celui qui l’achète ; mais ce ne sont pas les héritiers qui peuvent se plaindre, car on leur a payé d’autant plus cher la propriété du sol, qu’on a compté sur un revenu perpétuel. Toutefois, il est un cas où la perpétuité n’entre plus les considérations de l’acheteur : c’est lorsque la durée de la vente est fort longue ; une emphytéose d’un siècle ou d’un siècle et demi a autant de valeur qu’un domaine perpétuel. Si donc il y avait un intérêt public à ce que la propriété littéraire ne fût pas éternelle, il est visible que, sans préjudicier au droit des familles, on pourrait lui fixer un terme, pourvu que ce terme fût fort éloigné. Qu’on n’ait jamais pris de mesures pareilles avec la propriété foncière, la raison en est toute simple ; celui qui achète un fonds de terre ne reste pas oisif, il cultive, il améliore, il transforme et s’approprie par son travail le champ qu’il a payé ; le droit de propriété se renouvelle sans cesse dans ses mains ; il n’en est pas ainsi de l’éditeur : ce qu’il possède est une chose morte, il n’y ajoute rien du sien. Le Molière qu’il ferait valoir aujourd’hui serait le même que celui qu’on a publié il y a deux cents ans.

Mais quel serait cet intérêt public en faveur duquel il serait juste d’admettre une exception à la perpétuité du droit de propriété ? Ce n’est pas pour obtenir le bon marché, j’ai montré que c’était là une illusion ; ce n’est pas davan-

  1. Exposé de la loi de 1841, p. 6.