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la gardienne du phare

Claire marchait d’un bon pas. Tout en marchant, elle faisait comme une récapitulation de sa vie.

Les d’Ivery étaient autrefois riches. Claire ne se souvenait pas de sa mère, mais son père, qui était mort il n’y avait que quelques mois, avait été pour elle un père comme il y en a peu. M. d’Ivery était mort de peine, ayant perdu toute sa fortune dans une crise financière et sa fille, élevée dans le plus grand luxe, avait été obligée de partir pour gagner sa vie.

Il y avait eu un petit semblant de roman dans la vie de Claire. Un jour qu’elle se promenait à cheval, escortée par un domestique, sa monture avait pris peur. Le cheval avait pris le mors aux dents et la jeune fille se sentait incapable de le retenir. Il y avait, non loin de là, une carrière abandonnée ; si elle ne parvenait pas à apaiser son cheval, à temps, c’était la mort : il se précipiterait dans la carrière infailliblement. La voici, la carrière… c’est la fin !… Mais, à une cinquantaine de pieds du gouffre, un cavalier s’interpose, barrant la route. Le cheval de Claire rencontre cet obstacle : il est projeté en arrière, puis il s’arrête, tremblant.

La jeune fille chancelle et tombe, le cavalier la relève et lui dit des paroles encourageantes.

« Monsieur », dit Claire, « vous m’avez sauvé la vie !… Sans vous, j’allais me broyer la tête contre ces pierres !… » et du doigt, elle désigna le précipice.

À ce moment le domestique arriva tout effaré.

— « Mademoiselle Claire ! » s’écria-t-il, « oh ! Dieu soit béni, il ne vous est rien arrivé !! »

— « Mademoiselle », dit le jeune cavalier, « si vous vous sentez le courage de retourner avec votre domestique ; moi je suis obligé d’être, ce soir même, à N. »

— « Assurément, vous reviendrez avec moi afin que je vous présente à mon père ! » s’exclama Claire.

— « Je le voudrais. Mademoiselle, croyez-le ; mais je viens d’être nommé commandant d’un navire : loi militaire, Mademoiselle ; je n’ai pas le droit d’arriver en retard. »