Page:Laclos - De l’éducation des femmes, éd. Champion, 1903.djvu/79

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pendant, dans cette communauté de travaux et de fruits, il est aisé de pressentir que le partage ne dut pas être longtemps égal ; que, bientôt, la loi du plus fort se fit sentir : que les femmes, pour cela encore qu’elles étoient les plus faibles, furent assujéties aux travaux les plus pénibles, et en recueillirent le moins de fruit ; les hommes étendirent bientôt jusqu’à elles cette même idée de propriété qui venoit de les séduire et de les rassembler ; de cela seul qu’elles étoient à leur convenance et qu’ils avoient pu s’en saisir, ils en conclurent qu’elles leur appartenoient : telle fut en général l’origine du droit. Les femmes manquant de forces ne purent deffendre et conserver leur existence civille ; compagnes de nom, elles devinrent bientôt esclaves de fait, et esclaves malheureuses ; leur sort ne dut guère être meilleur que celui des noirs de nos colonies. Si l’on veut retrouver encore des vestiges sensibles de cet abus de force, que l’on considère un moment ces peuples encore grossiers que nous nommons sauvages, qui, réunis depuis peu de temps, ont déjà perdû les avantages de l’état de nature et n’ont pu pallier encore les premiers vices de la société. C’est là que l’on voit les femmes chargées seulles des travaux les plus vils et les plus pénibles, toujours excédées, souvent maltraitées, quelquefois tuées par des maîtres, oisifs et capricieux, qui payent ainsi les soins qu’elles prennent d’eux, les substances qu’elles leur fournissent, et le plaisir qu’elles leur procurent ; c’est ainsi que nous les voïons encore aujourd’huy ramer comme nos forçats, sur les canots des Groenlandois, et soumises au